
Depuis l’annonce du projet de réforme des retraites par le gouvernement, et celle de la grève du 5 décembre en réponse, les éditorialistes sont sur le pied de guerre. « Prise en otage » des usagers par les grévistes, versus réforme « bonne et nécessaire » : voyage en terrain médiatique connu, morgue et mépris garantis.
Une réforme bonne, nécessaire et inéluctable
Depuis septembre, les éditorialistes préparent le terrain. « Bonne et nécessaire » pour Nicolas Bouzou (LCI, 16/09), « la plus nécessaire et la plus symbolique du quinquennat » pour Alain Duhamel (RTL, 13/09), la réforme des retraites est inévitable pour Christophe Barbier :
Si on ne fait pas la réforme des retraites, on ne fait plus de réforme. Il n’y a plus de réformisme. S’il n’y a plus de réformisme, il n’y a plus de macronisme. On retombe dans l’immobilisme et alors là, qu’est-ce qui peut rester dans le bilan du gouvernement ? (BFM-TV, 18/10)
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Un premier aperçu du pluralisme à l’œuvre dans les grands médias, que confirment les positions éditoriales de trois principaux quotidiens du pays : « La réforme envisagée par Emmanuel Macron est particulièrement ambitieuse. S’il parvient à ses fins sans transiger, il aura réussi un tour de force. On lui pardonnera alors volontiers sa course d’escargot. » (Le Figaro, 4/09). Une ligne que le quotidien, reconverti en conseiller du prince, ne cessera de marteler à longueur d’éditos : « Le gouvernement réussira à mener à bien sa réforme des retraites s’il parvient à convaincre les Français qu’elle est juste. Et cela ne devrait pas être trop difficile face aux agents publics défendant bec et ongles leurs régimes spéciaux. » (31/10) Un rôle également endossé par l’éditorialiste du Parisien, Pierre Chausse, qui pense même à plus long terme : « Mener à terme cette réforme viendrait légitimer un peu plus une candidature pour un second mandat à l’Élysée. Pour cela, il faudra surmonter sans trembler la contestation qui s’annonce. » (7/11) Accompagnateur des contre-réformes structurelles depuis des décennies, Le Monde, enfin, veut lui aussi raisonner ses lecteurs en présentant le plan gouvernemental comme « transparent et équitable » : « Sur le papier, le projet se défend. La réforme des retraites, décrite par Emmanuel Macron comme « un vrai projet d’émancipation », est cohérente. » (4/11) (...)
Yves Calvi : Pourquoi fait-on semblant qu’il y a des choix à faire puisqu’en fait, il n’y en a pas ? (...)
Le souci de l’égalité chevillé au corps, les éditorialistes s’attaquent ainsi aux injustices de notre temps et ne manquent pas de tomber à bras raccourcis sur ceux qui s’opposent à leur combat. « Emmanuel Macron veut mettre sur pied un système clair, simple et équitable » nous dit Alain Duhamel (RTL, 13/09). « Réforme au nom de la justice d’un côté, maintien de régimes injustes de l’autre » résume Nicolas Beytout (Europe 1, 25/11).
C’est bien sûr sans compter sur « ces syndicats arc-boutés sur leurs privilèges » (...)
Ainsi de Jean-Michel Aphatie, qui « décryptait » la bonne parole le 26 novembre sur LCI :
Mardi dernier, Emmanuel Macron a réuni plusieurs ministres en leur disant « il faut cogner sur les grévistes ». Et voilà, il faut cogner sur les grévistes parce que ce sont des égoïstes. […] Stop aux égoïsmes, c’est la ligne de conduite du discours qu’adopte le gouvernement. [Et ça peut payer ce discours ?] Eh ben on ne sait pas ! On voit bien qu’il y a du potentiel : signaler aux salariés du secteur privé, aux retraités actuels, aux salariés de l’administration en général – parce que tout le monde n’a pas les avantages de la SNCF – que finalement cette grève, c’est fait pour quelques-uns et pas pour tous, on se dit, il y a du potentiel. […] Il faut toujours garder la confiance.
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Et les éditorialistes de se rassurer, décrétant que les cheminots et les salariés de la RATP sont universellement détestés :
- Le temps n’est plus où les Français étaient solidaires des cheminots, ils ont ouvert les yeux sur un système qui n’est plus supportable pour nos finances publiques. (Guillaume Roquette, Le Figaro Magazine, 31/10)
- [Les salariés de la RATP] veulent défendre leurs régimes spéciaux. Je pense que beaucoup de Français ne seront pas d’accord avec eux. (Bruno Jeudy, BFM-TV, 12/09) (...)
Haro, donc, sur « les employés de la SNCF qui pourrissent la vie de millions de Français » (Guillaume Roquette, Le Figaro Magazine, 31/10) ! Haro sur les syndicats : « [ils] revendiquent faire grève pour l’ensemble des Français. C’est faux, ils font grève parce qu’ils ont des régimes spéciaux qui sont exceptionnellement avantageux, payés en partie par les contribuables. » (Alain Duhamel, RTL, 13/09) Haro, tant qu’on y est, sur cette société au « QI de bulot », qui, ne comprend rien à rien, hormis la grogne et la castagne (...)
Un matraquage qui ne saurait faire oublier, toutefois, la panique qui gagne tous ces haut-gradés de « l’information ». Après avoir pesté contre les hésitations du gouvernement au sujet de la réforme, Nicolas Doze se montre ronchon face à la mobilisation qui s’annonce :
On est quand même devant la possibilité de se retrouver avec une grève générale, vous avez pas de train, pas de RER, pas de bus. L’arrêt du droit, l’arrêt des soins, plus d’école, hum… Là dans ces cas-là qu’est-ce qu’on fait, hein ? (BFM-TV, 17/10)
Et ce n’est qu’un début.