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Retraites : violences médiatiques en continu contre les grévistes
Article mis en ligne le 30 décembre 2019

« Cette fois, ça y est Nicolas [Beytout], nous y sommes : le mur du 5 décembre est là, devant nous. » Au matin du premier jour de mobilisation, d’une main tremblante, Matthieu Belliard pointait un iceberg du haut de la vigie d’Europe 1. Depuis, et face à l’ampleur de la grève et des manifestations, intervieweurs et éditorialistes réservent un accueil pour le moins chaleureux aux dissidents qui s’opposent à la « réforme » des retraites. « Haro sur les grévistes », tel est leur mot d’ordre.

Sur Europe 1, les journalistes avaient pourtant tout fait pour se rassurer au soir du 5 décembre : « On est très loin du raz-de-marée […] ! Le mur infranchissable qu’on avait annoncé, il est fissuré […]. Les syndicats pourront se targuer d’une grève suivie, de cortège bien remplis, mais, c’est insuffisant pour que le gouvernement plie » déclarait Charles Villeneuve dans « Le grand journal du soir ».

Une sérénité de façade toutefois, qui ne saurait brouiller l’agacement voire la panique des éditorialistes, toujours plus mobilisés pour défendre la réforme et virulents à l’égard des opposants à la réforme. Dans Le Point (13/12), Franz-Olivier Giesbert a bien saisi le problème : le projet est trop juste et trop égalitaire. (...)

Des indignations [1] qui n’ont d’égal que l’enthousiasme avec lequel ces mêmes éditorialistes accueillaient le discours d’Édouard Philippe le 11 décembre. « Discours très accessible » selon Alain Duhamel (BFM-TV), qui s’empresse de vanter le « gaullisme social » du Premier ministre, de même que son « projet extraordinairement audacieux ». Un « projet social, un changement de société » ose-t-il petit à petit, avant d’affirmer qu’Édouard Philippe a « cherché à apaiser avec méthode », selon « un mélange d’audace et de précaution ». Le lendemain, son confrère expert ès économie Nicolas Doze surjoue l’enthousiasme (...)

Les autres « experts » et éditorialistes ne sont évidemment pas en reste. Sur Twitter le 11 décembre, le commentateur multicarte Nicolas Bouzou [2] se prend pour un député LREM en charge de la réforme : « Force est de constater [que la réforme] est redistributive : les perdants sont les hauts revenus, les gagnants sont les précaires. C’est une réforme de gauche ! Mais pour dire cela, il faut savoir lire et être honnête. »

Le même jour, Jean-Michel Aphatie félicite à son tour le Premier ministre, qui a selon lui « expliqué sa position avec une certaine hauteur. Son ton est conciliant. » D’où le ralliement à la mobilisation du 17 décembre de la CFDT, le plus conciliant des syndicats ! Sur RTL, le visionnaire François Lenglet a lui aussi aperçu de vastes ouvertures : « La vague de contestations après les annonces d’Édouard Philippe sont d’autant plus étonnantes qu’il y a eu des concessions significatives de la part du gouvernement. » (12/12)

Un peu plus tôt sur la même chaîne, Alain Minc et Yves Calvi, deux vieux routiers du néolibéralisme, communiaient dans la défense de la réforme, malgré de vives inquiétudes (stratégiques) exprimées concernant les annonces d’un âge pivot : « Personne ne souhaite davantage que moi le succès d’Emmanuel Macron, et c’est pour ça que ce matin, je suis tout tourneboulé » affirme Alain Minc, agacé de voir la CFDT se rallier à la mobilisation. (...)

Et l’on peut dire que l’éditocratie est réglée comme un coucou suisse. Le 19 décembre, au sortir du second discours d’Édouard Philippe, les mêmes étaient dans les starting-blocks pour de nouveau saluer une prise de parole « très habile » (...)

Haro sur les grévistes et les manifestants

Après le service après-vente de la « réforme » vient la seconde salve : la dénonciation des grèves et des syndicats qui ne veulent pas céder. Le 21 décembre, Jean-Michel Aphatie prend à partie la CGT-Cheminots qui annonçait une « guerre totale » avec le gouvernement : « Comme discours coupé des réalités, difficile de faire mieux » ose l’éditocrate. Sur BFM-TV, alors qu’Éric Brunet cogne sans discontinuer sur le « fameux soft-power de la CGT », Emmanuel Lechypre siffle quant à lui la fin de la récré (...)

Dès fin novembre, Franz-Olivier Gisbert tapait ainsi sur Philippe Martinez, incarnation de « cette France […] crypto-frontiste, ultra-individualiste, nourrie à la pensée magique, qui nous raconte tout à l’envers, les travailleurs les plus protégés étant toujours présentés comme les grandes victimes du système » (29/11).

Deux semaines plus tard, après avoir tablé sur un classique en fustigeant des « syndicats à la ramasse », FOG se chauffait de nouveau : « Tous les gogos du pays, ce qui fait beaucoup de monde, se sont mis en rang derrière la CGT ». Avant monter en pression : « Le pays est retombé au stade anal de la régression idéologique, au point qu’on peut se demander si nous ne sommes pas revenus aujourd’hui au temps du communisme. »

Et de fustiger, dans sa bouffée délirante, les « braillards, conchieurs, coquefredouilles, marchands de balivernes » gavés au « misérabilisme victimaire » et au « socialisme des imbéciles ». (...)

Jean-Michel Aphatie se fâche lui aussi tout rouge face aux coupures d’électricité de la CGT : « Donc l’électricité appartient à la CGT de RTE qui la coupe quand ça lui chante, parce que c’est la Révolution et parce que c’est son bon plaisir. Le service public est entre de bonnes mains. » (17/12) Avant d’enfoncer le clou le lendemain (...)

Rappels à l’ordre, distribution des bons et mauvais points, surexposition d’actions prêtant – du point de vue des éditorialistes – à polémique, sommations à condamner ces actes jugés « jusqu’au-boutistes » et « illégitimes », culpabilisation pour Noël, etc. Les mêmes mécanismes sont à l’œuvre sur les plateaux. Et le cadrage est simple : haro sur les syndicats défendant le retrait ! Haro sur les coupables d’un « cirque à durée indéterminée » (...)

Et chez les éditocrates les plus radicaux, même les syndicats réformistes en prennent pour leur grade (...)

Tous le craignent et le répètent : le pays serait « ir-ré-for-ma-ble ». Égoïste, la population serait ainsi, et par principe, opposée aux « réformes ». C’est le triste constat que partagent tous les journalistes sur le plateau des « Informés » (France Info, 9/12). À commencer par Roselyne Febvre, cheffe du service politique de France 24 (...)

Suivie de près par Henri Vernet, rédacteur en chef adjoint du Parisien (...)

Pluralisme, quand tu nous tiens ! Difficile de ne pas sourire quand, la veille sur LCI (8/12), François Lenglet affirmait : « Dans ce bazar qu’est la France ces jours-ci, on n’entend pas beaucoup l’opposition de droite. »

Malléables à merci, les manifestants sont ainsi tour à tour des récalcitrants et des idiots qu’il s’agirait de raisonner. (...)

Ne manquait plus que la psychologisation des manifestants. François-Guillaume Lorrain (Le Point, 12/12) compare les contestataires – qualifiés tour à tour de « citoyens enfants » et de « patients français » – à des dépressifs. « La contestation de la réforme des retraites confirme notre propension au psychodrame » affirme-t-il avant de poser la question : « La France dépressive ? Maniaco-dépressive, plutôt. » Et le médecin de diagnostiquer le pays :

Perte de légitimité de l’autorité, cette instance fixe et stable, effacement du refoulement, carence du désir, incapacité à supporter l’insatisfaction, font le lit d’une société infantilisée où l’envie a pris le pas sur le désir, où la religion égalitariste a triomphé et où le citoyen est devenu un « pervers généralisé », ne vivant plus les relations que sur le mode de l’usage.

N’en jetez plus...

Tenir le cap : au chevet de Macron

Au chevet d’Emmanuel Macron, les éditorialistes n’en finissent pas de discuter de la méthode pour faire passer la pilule. Car une fois de plus, il n’y a pas l’ombre d’une divergence sur le fond (...)