
Il faut s’interroger sur la nature d’un monde où c’est un écran qui annonce à un malade qu’il va mourir.
C’est l’histoire d’un vieux monsieur de 78 ans qui est à l’hôpital aux États-Unis. Il a un problème pulmonaire, il sait que ça ne va pas fort. Le matin, il a vu un médecin qui lui a dit que le pronostic n’était pas bon. Là, il est avec sa petite-fille et un autre médecin vient lui parler. Scène classique à un détail près : le médecin n’est pas physiquement là. Il lui parle via un écran porté par un robot. Et le médecin-écran-robot lui annonce qu’il ne lui reste plus que quelques heures à vivre. Le patient ne comprend pas bien, il n’est pas sûr d’avoir entendu et c’est sa petite-fille qui doit lui répéter ce que la transmission vidéo vient de lui dire.
La scène a eu lieu en mars dernier. La petite-fille, sous le choc, en a filmé une partie et a lancé un appel sur Facebook pour dénoncer cette pratique.
Il y aurait beaucoup à dire sur l’emploi de ces technologies dans le domaine médical. Il y a d’énormes avancées incontestables. Il ne s’agit pas de jeter à la poubelle toutes les innovations mais de se rappeler qu’il ne s’agit que d’outils et que c’est nous qui décidons de la société dans laquelle nous souhaitons vivre, ce que nous voulons ou pas déléguer à des machines. La pente devient dangereuse quand ces outils servent à pallier un manque de moyens financiers et humains. (...)
Quel degré de déshumanisation sommes-nous prêts à accepter au nom de restrictions budgétaires ? (...)
Le numérique qui était un truc de riche devient un truc de pauvre. Pas assez de moyens dans une école ? Il n’y a qu’à y mettre des écrans. Pas assez de moyens dans un hosto ? Hop, un médecin-écran. On va pouvoir automatiser les maisons de retraite avec des robots, ça coûtera moins cher. À l’inverse, dans une maison de retraite de luxe, on aura toujours une foule d’êtres humains pour s’occuper des pensionnaires. Idem dans un hôpital privé, on aura un médecin en chair et en os pour nous informer. Et de plus en plus d’écoles privées se targuent déjà d’être sans écran.
On va donc aboutir à une situation que Nellie Bowles qualifie de « luxurification de l’engagement humain ». Un contact humain devient un luxe. (...)
Les pauvres seront entourés de robots et d’écrans, que ce soit au début de leur vie ou à la fin, alors que les riches pourront se payer des contacts humains. D’ailleurs, les pauvres pendant leur vie active obéiront à des machines comme c’est déjà le cas des micro-travailleurs. L’horizon de leur expérience sera celle de l’écran.
L’humanité deviendra alors une richesse, au sens financier. On pourra quantifier combien vaut un contact humain versus un contact avec un écran. (...)
L’humanité deviendra un bien quantifiable que seules certaines personnes pourront se payer.