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Russie : quelle efficacité pour les sanctions ?
Enseignant en économie et finances publiques.
Article mis en ligne le 12 août 2022

Les sanctions économiques et financières prises à l’encontre de la Russie font l’objet de débats virulents.

D’un côté, le camp pro-Poutine se félicite de la résilience de l’économie russe. En France, Marine Le Pen a même appelé à la levée des sanctions, considérant qu’elles pénalisent davantage les européens que les russes.

A l’inverse, certains politiques et universitaires mettent en avant la grande efficacité des sanctions occidentales. Récemment, la presse internationale a ainsi abondamment relayé une étude publiée par plusieurs universitaires de Yale décrivant une économie russe au bord de l’asphyxie. (...)

Dans les deux cas, l’analyse prend une tournure très idéologique. L’étude de Yale a par exemple fait l’objet de vives critiques en raison de ses exagérations, approximations et erreurs méthodologiques.

Trancher ce débat est d’autant plus difficile que l’objectif des sanctions est lui-même incertain. Selon les auteurs, il me semble que l’on peut en distinguer au moins trois différents :

  • punir la Russie pour l’inciter à négocier et éviter la répétition de ce type d’agression ;
  • perturber l’économie russe pour freiner son effort de guerre ;
  • saper la légitimité du régime de Poutine auprès de la population.

Au regard de ces objectifs, quel bilan intermédiaire peut-on dresser des sanctions après six mois de mise en oeuvre ?

La Russie a évité un effondrement financier (...)

A très court terme, le premier constat est que la Russie a évité le pire, c’est-à-dire une crise financière de grande ampleur, où les retraits massifs des déposants, la dépréciation de la monnaie et l’inflation galopante s’auto-entretiennent.

Un tel scénario n’était pas exclu du fait du gel des réserves de la banque centrale décidé par les occidentaux, qui a privé la Russie de sa première ligne de défense face aux sanctions. On se souvient d’ailleurs des images de russes faisant la queue pour retirer de l’argent aux guichets dans les premiers jour du conflit, alors que le rouble perdait près de la moitié de sa valeur. (...)

Pour éviter la déroute financière, les autorités ont mis en oeuvre un ensemble de mesures visant à stabiliser l’économie russe. (...)

En parallèle, l’effondrement de la monnaie russe a été évité par la combinaison d’un encadrement drastique des sorties de capitaux, d’une hausse massive des taux d’intérêt (de 9,5 % à 20 %) et de l’obligation pour les exportateurs russes de convertir leurs devises - même si les restrictions des importations ont également joué. (...)

Nous ne sommes donc clairement pas dans un scénario comparable à celui de la grande crise financière russe de 1998. (...)

L’économie russe traverse une forte récession

Si l’effondrement financier a été évité, cela ne signifie pas pour autant que les sanctions n’ont aucun effet significatif sur l’économie russe, comme le camp pro-Poutine le laisse entendre.

Certes, les exportations russes se portent bien, du fait de la large exemption dont bénéficie jusqu’à présent le secteur énergétique, combinée à la hausse des prix du pétrole et du gaz.

Ainsi, la production pétrolière russe n’a quasiment pas diminué et la modeste baisse des exportations vers les occidentaux a été redirigée principalement vers l’Inde. (...)

D’après une étude récemment publiée par la BCE, les sanctions occidentales ont provoqué une baisse particulièrement marquée des importations de véhicules, machines et appareils mécaniques, ce qui pourrait progressivement entraver la production d’équipements militaires. (...)

Au plan interne, ces restrictions ont fortement perturbé certains secteurs très dépendants des importations - avec par exemple une baisse de la production de près de 90 % pour l’automobile. Ces secteurs ne représentent toutefois qu’une faible part de l’économie russe. (...)

Au total, le PIB russe apparaît d’ores et déjà en recul de 4 % sur un an à l’issue du deuxième trimestre 2022. (...)

Si elle se confirmait, il s’agirait d’une contraction de l’économie russe très supérieure à celle enregistrée en 2014 après l’annexion de la Crimée et plus durable qu’en 1998 et 2009. (...)

L’impact des sanctions est asymétrique et devrait le rester

Si les sanctions ont donc pesé sur la croissance russe, elles ont également contribué au ralentissement économique observé à l’échelle mondiale, du fait notamment des tensions sur les prix de l’énergie.

C’est tout à fait normal : il y a nécessairement un prix à payer pour que les sanctions soient efficaces. L’objectif est que ce coût reste asymétrique.

Dès lors, peut-on conclure comme le fait Marine Le Pen que les sanctions pèsent davantage sur l’économie européenne que sur Moscou ?

Clairement, ce n’est pas à ce jour l’avis des économistes. (...)

Le coût économique pour la Russie serait 5 à 6 fois supérieur à celui de la zone euro. Même avec les pays d’Europe de l’Est, plus fortement touchés, l’écart reste significatif. (...)

Précisons qu’un arrêt total des livraisons de gaz russe, qui ne peut aujourd’hui être exclu, ne devrait pas bouleverser ce diagnostic - son coût pour l’économie européenne étant estimé entre 0,2 et 2,8 points de PIB selon les études. (...)

Si le coût global pour l’économie européenne devrait donc rester très inférieur à celui infligé à la Russie, il n’en irait pas forcément de même pour chaque Etat. Certains pays d’Europe de l’Est très dépendants du gaz russe seraient ainsi durement touchés, justifiant une solidarité européenne accrue. (...)

Jusqu’à présent, les sanctions n’ont pas entamé la popularité du régime (...)

A ce stade, il apparaît que le conflit ukrainien et les sanctions occidentales s’accompagnent d’une forte hausse de la popularité de Poutine, ce qui avait déjà été observé en 2014 lors de l’annexion de la Crimée. (...)

Ce phénomène de « rassemblement autour du drapeau » est d’autant plus fort que la population russe n’a pas encore beaucoup souffert des sanctions, du fait des nombreuses mesures de soutien décidées par le Gouvernement, tant pour les entreprises que les ménages (...)

Reste que les autorités russes ne pourront pas éternellement “congeler” l’économie et prendre en charge la perte de revenu de la Russie.

Or, plusieurs études suggèrent que les sanctions pourraient avoir à long terme des conséquences importantes pour le développement et le niveau de vie du pays. (...)

Pour conclure

Au terme de cette analyse, il apparaît clairement que les sanctions ne sont pas indolores pour l’économie russe, même si cette dernière est loin d’être au bord de l’effondrement.

Renforcer leur efficacité supposerait pour les occidentaux de s’attaquer plus sévèrement au secteur énergétique, ce qui présenterait toutefois l’inconvénient de réduire leur caractère asymétrique et de peser plus fortement sur les populations occidentales. L’ambiguïté des européens reste forte en la matière, comme en témoigne une récente décision visant à faciliter l’assurance et le transport du pétrole russe vers des pays tiers. (...)