
« S’entraider ou capitaliser, quel contrat social ? », « L’Etat compte les sous, on comptera les morts » écrit sur une grande banderole tenue par des hospitaliers en grève depuis des mois. Autant les manifestations de décembre dernier semblent loin à l’heure du confinement, autant ces slogans apparaissent aujourd’hui avec une pertinence malheureuse.(..)
Au moment des manifestations contre les retraites, le pays était bloqué, les médias parlaient majoritairement d’une prise d’otages, le gouvernement fermait les yeux en attendant avec le plus grand mépris que la contestation s’essouffle. On se souvient aussi d’une stratégie d’intimidation inacceptable et d’une violence policière disproportionnée et systématique, de ces images d’aides-soignants à terre, gazés, parfois battus, c’était déjà intolérable à l’époque.
Nous étions à leurs côtés. Nous, jeunes chercheur.e.s en sciences humaines, sommes confiné.es mais aussi en colère, parce que nous n’oublions pas cette mobilisation. La suspension des réformes en cours, l’appel à l’union nationale ainsi que la continuité pédagogique à laquelle nous sommes invité.e.s, ne nous empêcheront pas de continuer cette mobilisation coûte que coûte. (...)
Nos systèmes étaient déjà en crise. Ce que les réponses urgentes du gouvernement ignorent c’est que ce sont les causes et non les effets qui sont à déplorer.
Cette crise agit comme un révélateur des dysfonctionnements d’un modèle social et économique dont il nous faut aujourd’hui interroger les présupposés. Chaque branche du service public, lorsqu’elle n’est pas simplement privatisée, est touchée par cette logique de la rentabilité et des bénéfices marchands. On sait à quelles conséquences ont conduit ces politiques pour l’hôpital. (...)
Comment garantir la poursuite de nos recherches et d’un enseignement de qualité dans cette déliquescence généralisée ? Jusqu’où sommes-nous contraints d’aller dans cette catastrophe pour finir par voir que ce modèle imposé par les gouvernements depuis des décennies est extrêmement nocif ? (...)
Les sciences humaines et sociales, tout particulièrement, se trouvent dans un état de sous-financement chronique. Cette précarité est directement accrue par une mise en compétition généralisée relevant d’un “darwinisme social” dont se targuent les proches du MESRI, en dépit de son absurdité pour la recherche[4]. La mise en place d’un système fondé sur la compétition a par ailleurs des effets pervers notables : celui des inégalités accrues mais aussi de l’atomisation des individus livrés à des conditions de vie incertaines qui rendent difficile le fait même de se mobiliser pour défendre ses conditions de travail. (..)
La crise sanitaire nous montre que la France, septième puissance économique mondiale, a réussi l’exploit d’une casse sociale sans précédent du monde hospitalier. Surtout, elle montre que malgré ce que l’on nous répète à l’envi, on peut trouver et débloquer des milliards d’euros. Les arguments comptables en faveur des réductions budgétaires dramatiques dans les secteurs publics sont un danger pour notre société : ils détruisent la possibilité d’enseigner, de faire de la recherche indépendante ou de soigner. (...)
Se poser les bonnes questions, c’est ce qu’on apprend à nos étudiant.es en philosophie, et il ne semble pas incongru de réclamer de bonnes conditions de travail pour le faire.
: c’est ce qui nous a fait manifester massivement contre des réformes néo-libérales qui s’avèrent aujourd’hui irresponsables et criminelles. C’est ce qu’il ne faudra pas oublier après cette épreuve du confinement qui doit être le moment non pas d’une pause, mais d’un réveil nécessaire.