
En juillet, 104 témoignages de victimes de violences policières pendant les 4 mois du mouvement social contre la « loi travail » ont été déposés au Défenseur des droits (DD). Parmi eux, 68 cas ont mené à des saisines individuelles qui sont actuellement instruites par le DD.
Le mouvement social né en réponse au projet de « loi travail » s’est exprimé de mars à juillet 2016 sous différentes formes (manifestations autorisées ou non, grèves, blocages, occupations de lieux...) et a impliqué des opposants de divers horizons. Les actions menées ont, cependant, toutes eu un point commun : l’extrême brutalité des agents de la force publique. La longue chronique judiciaro-médiatique de cette contestation s’est trop souvent accompagnée d’un décompte minutieux des blessures ou violences subies par les policiers [1], alimenté par la traditionnelle dissociation entre « casseurs » et manifestant.e.s « pacifiques ». Force est de constater que n’a pas été rapportée avec la même rigueur une doctrine du maintien de l’ordre de plus en plus brutale et agressive, diligentée directement par le ministère de l’Intérieur et mis en œuvre avec dextérité par les préfets.
De nombreux épisodes ont été largement médiatisés, telles que l’expulsion à coups de matraques et de gazeuses d’un amphi de Tolbiac où les étudiant.e.s essayaient de débattre et de s’organiser, ou des agressions subies par des lycéen.ne.s, tabassé.e.s alors qu’ils tentaient de bloquer, sans agressivité, leurs établissements. Les exemples de répression violente, et sans sommations, sont innombrables, illustrant une volonté en haut lieu d’intimider les contestataires plutôt que de « maintenir » l’ordre public : « nassages » des manifestant.e.s, usage massif de gaz lacrymogènes, évacuation de places à coups de grenades dites de « désencerclement », violences physiques sur personnes menottées, tirs de flash-ball visant les visages (dont l’un a entraîné notamment l’énucléation d’un étudiant à Rennes)…
Notre collectif, Stop Violences Policières, constitué courant avril 2016, émane du groupe de défense collective (Defcol), créé au début du mois de mars afin d’apporter une aide et un accompagnement juridique aux personnes pouvant être interpellées ou prévenues lors du mouvement social. Fin avril, à la suite de nombreux cas de violences perpétrées par les forces de l’ordre, constatées sur place par les équipes Defcol ou des « street médics », relayés non pas par voie de presse mais sur certains médias sociaux, nous avons décidé de lancer un premier appel à témoignages aux personnes ayant été brutalisées ou blessées lors d’actions revendicatives, rassemblements ou manifestations unitaires [2].
Le résultat de ces appels est une saisine collective du Défenseur des Droits (DD), autorité constitutionnelle indépendante, auprès de son pôle « Déontologie de la sécurité ». Cette procédure nous est apparue complémentaire d’une plainte classique devant la « police des polices », l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), devant laquelle la force publique est à la fois juge et partie. C’est d’ailleurs à la suite de nombreux cas d’intimidations de manifestant.e.s blessé.e.s, désirant porter plainte devant l’IGPN et dont la bonne foi était mis en doute par des agents qui ont cherché à les en dissuader, qu’il nous a semblé indispensable d’accompagner ces victimes dans leur souhait de ne plus se taire en allant témoigner devant le DD. (...)
à la lumière des récits récoltés dans la saisine, il est clair que la violence des policiers ne relève en rien de légitime défense. Elle a en revanche une utilité pour le pouvoir : briser toute velléité de contestation contre l’ordre social. Contrairement au refrain repris en chœur dans les médias et colporté par les représentant.e.s de la classe politique, ces exactions violentes ne sont ni des « bavures » ni l’expression d’une « fatigue » de la police, elles sont institutionnelles. (...)
Parce qu’il n’est plus possible de nier le caractère industriel de la violence policière, il ne s’agit pas ici de pointer des « cas isolés » mais des actes fréquents ou systématiques, des gestes et pratiques ostensibles assumés par l’autorité policière. Alors que l’état d’urgence reste en vigueur, notre collectif, et bien d’autres, entend visibiliser une situation extrêmement répressive qui est en train de se normaliser.