Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Basta !
Salaire amputé, logement indécent et droits bafoués : bienvenue dans la vie d’un travailleur détaché
Article mis en ligne le 23 mai 2016

Vingt ans après la directive européenne sur le détachement des travailleurs, la pratique est devenue courante au sein de l’Union européenne, en particulier dans le secteur du bâtiment. Les travailleurs polonais y représentent l’un des plus gros contingents de salariés détachés. Ces travailleurs migrants, condamnés à passer une grande partie de leur temps à distance de leur foyer, sont-ils les principaux bénéficiaires du système ? Rien n’est moins sûr, tant la face cachée du marché du travail européen révèle le chemin de croix vécu par ces travailleurs hyper-flexibles. Témoignage de Piotr, grutier polonais, réalisé en partenariat avec le magazine Hesamag, consacré à la santé et à la sécurité au travail

Depuis 1996, les entreprises de l’Union européenne (UE) peuvent faire appel aux salariés d’un autre État-membre sous le statut de « travailleur détaché », aux conditions sociales du pays d’origine. Une aubaine pour les employeurs, qui peuvent faire venir des Polonais, des Bulgares ou des Roumains, pour des salaires bien moindres que ce qu’ils devraient payer à des Français, des Belges ou des Allemands. Un piège pour les travailleurs, mis en concurrence les uns avec les autres à l’échelle du continent tout entier.

L’UE promet de réformer ce statut depuis des années pour lutter contre le dumping social généralisé qu’il permet. Pour l’instant, en vain. Une nouvelle initiative de la Commission européenne veut imposer l’égalité de salaires entre travailleurs locaux et détachés. Pour quels résultats quand sur le terrain, les travailleurs détachés sont des ouvriers nomades envoyés dans un pays dont ils ne connaissent pas la langue, sans représentation syndicale, et qui doivent souvent réclamer pour être payés ? (...)

De Bagdad à Francfort, itinéraire d’un travailleur détaché (...)

récemment, Piotr a travaillé en Suède et en Belgique. Il revient d’un chantier de quatre mois près d’Anvers, pour la construction d’une maison de retraite. « Une fois de plus, je me suis fait arnaquer, déplore le grutier. Chaque mois, ils sous-estimaient le nombre d’heures travaillées. Sur le paiement des salaires, il faut toujours se battre. Et en fin de compte, on reçoit toujours moins que prévu. » Mais les abus ne s’arrêtent pas aux montants des salaires. « Sur un contrat en Belgique, nous étions même payés en zlotys polonais ! Pour acheter ce dont nous avions besoin sur place, nous devions changer nos zlotys en euros. »

Question logement, ça n’est pas mieux. « Il y avait des souris, des champignons sur les murs. » Qu’à cela ne tienne, son employeur, qui est toujours une entreprise polonaise, a réclamé 250 euros de loyer à Piotr et à ses collègues, qui devaient aussi payer leur transport vers le chantier.

Piotr raconte avoir connu des conditions d’hébergement encore plus indignes. Des contrôles sur les logements des travailleurs détachés ? Il n’en a jamais vu.

Du salariat détaché à l’auto-entrepreneuriat forcé (...)

« Les employeurs attirent les gens avec des annonces sur lesquelles ils promettent un emploi. Mais quand les travailleurs arrivent en Allemagne, ils leur disent “Si tu veux travailler pour moi, tu dois créer ta propre entreprise”. Comme ça, ils ne paient aucune cotisation sociale. » Lorsqu’il travaille comme auto-entrepreneur, Piotr doit payer lui-même ses cotisations en Pologne. Pour seize euros de l’heure gagnés sur un chantier, il doit en reverser une bonne partie. Et là encore, il faut se battre pour se faire payer. « Il faut que j’envoie les factures, et que j’insiste, toujours. C’est beaucoup d’énergie. Alors parfois, je laisse tomber. »

Dans les méandres de la sous-traitance (...)

Pour ne rien arranger, dans la construction, les entreprises sous-traitent en cascade. « L’entreprise qui gère le chantier sous-traite à une autre, qui sous-traite à une autre, qui sous-traite à une autre, explique Ilona Jocher. Celle qui est au sommet de la chaîne gagne de l’argent. Mais les travailleurs détachés, à l’autre bout, n’en voient pas la couleur. Alors, ils viennent nous voir. Malheureusement, les entreprises sous-traitantes disparaissent parfois de la circulation. Et en cas de procédure, même si les travailleurs obtiennent souvent justice, les entreprises font appel. Avant d’être indemnisé, il faut parfois des mois, voire des années. »

À 60 ans, pas de retraite en vue (...)