
Canan Kaftancıoğlu, 47 ans, comparaît ce 18 juillet pour avoir critiqué le président turc sur les réseaux sociaux. Elle pourrait écoper d’une peine de dix-sept ans d’emprisonnement.
Quand on lui demande pourquoi ce procès à son encontre, Canan Kaftancıoğlu répond : « Parce qu’il a perdu et que nous avons gagné. »[1]
« Il », c’est Recep Tayyip Erdoğan, le chef de l’État turc ; « nous », c’est le Parti républicain du peuple (CHP), le principal parti d’opposition, qui a remporté la mairie d’Istanbul le 23 juin. (...)
Celle qui est considérée comme l’architecte, la cheville ouvrière de cette victoire ajoute : « Parce que je suis une femme, et que le chauvin mâle a peur des femmes. » (...)
De tous les combats
« Une femme courageuse », disent d’elle toutes les personnes qui l’ont approchée : Canan Kaftancıoğlu est un étrange mélange de réserve et de franc-parler. N’est-ce d’ailleurs pas cette façon d’appeler un chat un chat qui lui vaut de comparaitre le 18 juillet ? Poursuivie pour une série de tweets, elle encourt jusqu’à dix-sept ans de prison.
Médecin légiste de son état, Canan Kaftancıoğlu est de tous les combats. (...)
Son nom de famille est bien connu de l’opinion publique : en 1980, le père de son mari, l’intellectuel Ümit Kaftancıoğlu, a lui-même été exécuté en pleine rue par des militants d’extrême droite. (...)
Les condamnations pour insulte au président se multiplient ? La voilà qui émet une proposition iconoclaste : « On devrait fixer une date et insulter tous ensemble Erdoğan au même moment, peut-être que l’on reviendrait à la normale. »
Révoltée par les scènes de violences qui se sont produites pour contrer la tentative de coup d’État de 2016, elle fustige les gens qui, descendus dans la rue, sont présentés comme des héros par le gouvernement islamo-nationaliste : « Ce n’est pas en criant Allahou Akbar et en coupant des gorges qu’on lutte pour la démocratie. Que le dieu auquel vous croyez vous maudisse. » (...)
Mais Canan Kaftancıoğlu est aussi capable de s’attaquer aux tabous de son propre camp, dont la ligne la plus républicaine et nationaliste est peu encline aux concessions.
Ainsi n’hésite-t-elle pas à qualifier de « génocide » arménien les massacres de 1915 et ne cache-t-elle pas sa solidarité envers le Parti démocratique des peuples (HDP, gauche, autonomiste kurde).
Pis : en 2013, elle compatit au sort de Sakine Cansiz, l’une des fondatrices du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), l’aile militaire des autonomistes kurdes, lorsque celle-ci est assassinée à Paris aux côtés de deux autres militantes. Résultat : elle est accusée de soutien au terrorisme. (...)
Le gouvernement islamo-nationaliste et le président turc ne s’y sont pas trompés. Il n’a pas fallu attendre plus de cinq jours après la victoire de l’opposition à Istanbul lors du scrutin du 23 juin pour que sa principale architecte comparaisse devant un tribunal. (...)
Ces derniers jours, Canan Kaftancıoğlu s’est enfermée de longues heures avec son équipe pour préparer sa défense. « Je me sens “blanche”, je n’ai jamais exploité les richesses que la société met à disposition des politiques. Et puis je milite en faveur de la supériorité du droit, conclut-elle. Même si malheureusement, en ce moment, c’est le droit du plus fort qui prévaut. »