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Mediapart
« Sauvages », « fainéants »... des salariées d’un Ehpad accusent plusieurs cadres de racisme
Article mis en ligne le 27 mai 2021

Depuis octobre, plusieurs salariées d’un Ehpad à Sèvres (Hauts-de-Seine) du groupe Arpavie dénoncent des propos racistes qu’auraient tenus leur directrice et le médecin coordinateur. La direction du groupe, qui a licencié l’une de ses responsables de soins ayant dénoncé les faits, est mise en cause.

Des salariées d’un Ehpad des Hauts-de-Seine du groupe Arpavie dénoncent des propos racistes qu’auraient tenus leur directrice et le médecin coordinateur. La direction du groupe, qui a licencié l’une de ses responsables de soins ayant dénoncé les faits, est mise en cause. (...)

Si les soignantes de l’Ehpad de Champfleury à Sèvres (92) parlent aujourd’hui, c’est qu’elles s’estiment « lassées » et « totalement démunies » face au racisme qu’elles disent subir depuis plusieurs mois.

Arpavie, le premier groupe associatif de résidences pour personnes âgées, déjà mis en cause pour son management brutal, traverse en effet une nouvelle crise depuis octobre. La directrice et le médecin coordinateur de cet Ehpad sont accusés de tenir des propos racistes à l’égard du personnel d’origine africaine, sans que la direction du groupe « ne réagisse véritablement ». (...)

Sylvie*, cadre de santé, a été la première à alerter les instances représentatives du personnel et la direction du groupe, le 5 octobre dernier. Dans un courrier de huit pages consulté par Mediapart, elle dénonce dans le détail le comportement de la nouvelle directrice de l’Ehpad, Marie-Dominique Populo de Chavigny, en poste depuis mars 2020.

Elle rapporte d’abord une réunion qui aurait eu lieu dès le début de sa prise de fonction, en mai dernier. Lors de celle-ci, les soignants qu’elle avait sous sa responsabilité dénoncent une décision de la directrice de changer le type de protections (change-culotte) pour les résidents. « À la suite de cette réunion, j’ai fait part des plaintes à Mme Populo de Chavigny et je lui ai expliqué les conditions dans lesquelles s’était passée la réunion, écrit Sylvie dans ce courrier. Mme Populo de Chavigny était très agacée et a dit, je cite : “Je ne supporte plus ces Noires, ce sont des sauvages !” »

D’après cette cadre de santé, toujours dans ce courrier « ces propos étaient à plusieurs reprises formulés par la directrice, lorsque des situations l’agaçaient concernant les professionnels de couleurs ». (...)

« Les résidents prenaient donc des douches ou se lavaient dans des chambres non chauffées, car Mme Populo de Chavigny ne voulait pas non plus que les soignants utilisent des petits chauffages d’appoint fournis par la famille », ajoute-t-elle.

« J’ai fait ce courrier pour exprimer un ras-le-bol et faire cesser cela, explique-t-elle à Mediapart. La directrice, qui a pourtant des origines antillaises, employait souvent des termes racistes en plus d’être assez colérique. Les soignants sont livrés à eux-mêmes face à ça. »

Françoise*, une responsable de soins arrivée en septembre, dit aussi en avoir fait les frais « dès sa première semaine ». « La directrice ne supportait pas de nous voir. Elle n’arrive pas à faire abstraction de notre couleur de peau », accuse-t-elle.

Deux jours plus tard, le 7 octobre 2020, c’est Élisabeth, l’assistante de direction de Mme Populo de Chavigny, qui dénonce à son tour des propos racistes dans un courrier adressé aux instances du personnel. Elle relate notamment un épisode qui serait survenu la première semaine d’arrivée de Mme Populo de Chavigny, le 4 février 2020 : « La directrice est venue dans mon bureau afin de savoir en quoi consistait mon poste. […] Ensuite, en regardant la liste du personnel, elle a fait la remarque suivante : “Eh bien, pratiquement toute l’Afrique noire est représentée.” » (...)

“Si j’ai le choix entre une Blanche et une Noire, je prendrai sans hésitation une Blanche” » (...)

Jointe par Mediapart, Élisabeth dit être « restée sans voix », ce jour-là : « Je n’ai pas réagi, mais je me suis dit que ce n’était plus possible de travailler avec quelqu’un comme ça. Qu’elle change de métier, mais il ne faut pas travailler dans le médicosocial si elle ne veut côtoyer que des personnes blanches. »

Face à ces multiples accusations, les élus de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) du groupe Arpavie alertent l’inspection du travail et demandent, le 17 novembre 2020, l’ouverture d’une enquête interne, ce que la direction acceptera. (...)

Elle a demandé pourquoi on voulait changer de nationalité, précisant qu’une naturalisation devait se mériter. Dans les autres Ehpad, des gens ont des attestations, même lorsqu’ils ne travaillent pas directement avec des malades du Covid, ça ne lui coûtait rien de faire pareil, regrette-t-elle. On a fait remarquer à la direction du siège qu’elle ne voulait pas signer les attestations et qu’au vu de ses réponses ses motivations étaient clairement racistes, mais la direction nous a dit que ça ne les regardait pas et qu’on devait se débrouiller. » (...)

En plus de la directrice, plusieurs soignants ont aussi dénoncé l’attitude du docteur Hervé, médecin coordinateur de l’Ehpad. « Un jour, lors d’un déjeuner, il a dit : “De toute façon, les Africains sont des fainéants, ils sont venus pour tirer ce qu’ils peuvent tirer” », prétend une ancienne cadre de santé. « C’était ma première semaine d’embauche. Je me suis levée de table, car c’était insupportable, et deux soignants noirs m’ont suivie. Je leur ai demandé : “C’est quoi, ça ?” Ils m’ont dit que c’était comme ça ici, rapporte-t-elle. Beaucoup de nos réunions étaient rythmées par ce genre de réflexions racistes. J’y allais la boule au ventre. »

En janvier, le médecin aurait de nouveau tenu des propos racistes lors d’une réunion du comité de direction. Trois salariés décident alors que « cela doit cesser » et vont s’en plaindre à la directrice, Mme Populo de Chavigny. « Elle nous a dit que ce n’était pas normal, qu’elle n’était pas d’accord avec ces propos mais n’a pas souhaité signaler cet événement à la hiérarchie ou à l’ARS », explique une ex-salariée.

Non, la directrice a demandé aux salariés qui auraient été victimes de ces propos de rédiger un courrier et d’aller eux-mêmes le lui porter. Elle a tout juste accepté de signer cette lettre, sans pour autant faire remonter l’information. « J’ai estimé que cela devait rester dans l’enceinte de l’entreprise », défend-elle à Mediapart. Les accusations détaillées dans le courrier en question semblent pourtant extrêmement graves. (...)

La pression s’accentue lorsque dix soignants signent une lettre ouverte le 12 mars, adressée cette fois-ci au directeur général, Jean-François Vitoux, et à la présidente d’Arpavie, Laure de la Bretèche. Cette dernière est aussi directrice déléguée à la Caisse des dépôts, organisme membre de droit du conseil d’administration d’Arpavie depuis 2020 et qui vient tout juste d’injecter 10 millions d’euros pour accélérer le développement du groupe.

En avril, la direction communique enfin. Elle annonce conserver la directrice et mettre à pied le docteur Hervé. (...)

Sauf que, d’après le planning de l’Ehpad que Mediapart s’est procuré, le docteur Hervé n’a jamais été licencié. Il est en réalité mis en disposition jusqu’à la fin de son CDD et est noté en tant qu’« absence autorisée payée (AAPH) ».

Ce que l’intéressé confirme d’ailleurs à Mediapart. (...)

Si ce médecin est toujours rémunéré et la directrice toujours en poste, Françoise, elle, a été licenciée le 19 mars après avoir été mise à pied le 17 février. Un mois après avoir dénoncé dans un courrier les propos racistes qu’aurait tenus le médecin coordinateur. Arpavie reproche notamment à cette responsable de soins d’avoir fait travailler une salariée alors qu’elle était en arrêt maladie.

L’un des représentants du personnel dénonce une sanction « excessive » et « prétexte ». « Toutes les soignantes victimes de racisme ont peur de parler justement pour ne pas perdre leur job et c’est exactement ce qui m’arrive aujourd’hui », regrette Françoise, qui attaque désormais le groupe Arpavie aux prud’hommes. (...)