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Sciences et médias : le buzz nuit gravement à la santé
Article mis en ligne le 6 novembre 2016
dernière modification le 1er novembre 2016

Parmi les centaines d’études publiées dans les revues médicales chaque mois, celle menée par l’université allemande de Marburg, concernant les effets secondaires de médicaments utilisés en traitement du cancer du sein, a fait l’objet d’une couverture médiatique significative à la fin de l’été.

Mais comme nous l’avons déjà constaté à plusieurs reprises, la corrélation entre l’intérêt scientifique d’une recherche et sa reprise médiatique est en général, au mieux, aléatoire.

En l’occurrence, l’intérêt des médias avait été efficacement stimulé par une communication trompeuse autour des résultats de l’étude, au mépris de l’honnêteté intellectuelle la plus élémentaire, et peut-être même de la santé des patientes qui auraient la faiblesse de croire ce que leur journal rapporte des progrès de la recherche.
Une campagne tous azimuts

Lorsque des chercheurs d’une université de Marburg tentent de montrer que les patientes traitées pour un cancer du sein subissent d’autant plus les effets secondaires qu’elles les redoutent avant le début de la thérapie, il n’est pas évident que leurs travaux feront l’objet d’articles de publications aussi diverses que Le Figaro, RTL, Europe 1, allodocteurs.fr (le site de l’émission de France 5), repris sur le site de Francetvinfo, Femme actuelle, 20 minutes, La Nouvelle république, La Dépêche, Le Républicain lorrain, La République du centre, Ouest-France, France Soir, Sciences et avenir, doctissimo.fr, feminactu.com, topsante.com, e-santé.fr, actusante.net, pourquoidocteur.fr, 24matins.fr et speedylife.fr [1].

L’article scientifique relatant cette étude [2], publié dans la revue Annals of Oncology au mois d’octobre, est disponible en ligne depuis le mois d’août. C’est à ce moment-là qu’ont été publiés au moins 21 articles en ligne rapportant les résultats de cette étude. Ou plus exactement : rapportant ce que le communiqué de presse, concocté par une habile communicante, rapportait des résultats de l’étude [3].

Une communication décomplexée

Pour comprendre en détail la différence entre les véritables résultats et les extrapolations douteuses, si ce n’est mensongères, que l’on trouve dans le communiqué de presse puis dans les articles de presse généraliste ou « de vulgarisation », le lecteur féru de littérature scientifique se référera à l’analyse publiée sur le site du Formindep, association promouvant une formation et une information médicales indépendantes.

Nous nous contenterons ici d’en tracer les grandes lignes. (...)

Aucun de ces articles ne mentionne les faiblesses méthodologiques « rédhibitoires » (selon le Formindep) ni les conflits d’intérêt des auteurs. Sur les 21 reprises recensées dans la presse française en ligne, seules quatre sont des articles fournissant des informations sur le sujet au-delà de la description de l’étude fournie par le communiqué de presse [5]. Les 17 autres se limitent à une stricte reprise des éléments du communiqué, trompeur comme nous l’avons vu. Celui-ci comprend notamment une citation cruciale de l’auteure principale, reprise par tous les articles que nous avons trouvés, et qui cadre la présentation de l’étude, masquant ses faiblesses et exagérant largement la portée de ses résultats. (...)

De la presse scientifique au fil « lifestyle » de l’AFP

Dans le champ scientifique, la course à la publication est un problème bien connu. L’obtention de postes et de financements dépendant souvent du nombre d’articles publiés et de la renommée des revues qui les publient, les chercheurs sont incités à vendre leurs travaux, ou plus exactement à faire de la recherche « vendable ». Dans le domaine médical, l’influence des firmes pharmaceutiques, qui financent largement la recherche, pèse lourdement en ce sens. C’est dans ce contexte que le rédacteur en chef de la prestigieuse revue médicale The Lancet s’inquiétait, dans un éditorial d’avril 2015, de la faible qualité des recherches publiées (...)

Cela semble largement aggravé lorsque les chercheurs, ou les institutions qui les emploient (firmes pharmaceutiques, laboratoire, université) cherchent à donner un impact « grand public » à leur travaux : dès lors, il n’est plus question de détailler les protocoles ou nuancer les résultats, mais bien d’appâter le chaland, quitte à tromper sur la marchandise. (...)

les articles que nous avons recensés ont de toute évidence été rédigés par des journalistes n’ayant pas lu l’étude originale et qui se sont contentés du communiqué de presse, partiel et partial. Pis : il n’est pas certain que la lecture du communiqué ait été nécessaire à la rédaction des articles de reprise, dont la moitié (9 sur 17) sont signés « avec agences » ou « avec AFP ». (...)

Des chercheurs (ou leurs employeurs) cherchant à légitimer leur travaux en obtenant des reprises dans la presse générale ou « de vulgarisation », aux médecins et aux patientes exposés à une présentation trompeuse de ces travaux, le chemin passe donc par des « communicants journalistes » et un partenariat entre une agence de presse propriété d’un géant des « relation publiques » et une agence de presse publique. Mais ce chemin ne vaut que parce qu’il répond à une exigence primordiale de la presse en ligne : la fabrication rapide d’articles bon marché générant le plus de clics possible.Un écosystème indéniablement toxique.