
De nombreuses sociétés traditionnelles et religieuses proscrivent les rapports sexuels avant le mariage. Cet interdit est en général transgressé, avec plus ou moins d’hypocrisie. En Algérie, la tension est d’autant plus vive, parfois douloureuse, que l’immigration et Internet ont généralisé la connaissance de pratiques amoureuses jugées répréhensibles.
Originaire de Tifelfel, au cœur du massif des Aurès, Rabah vient d’achever un master 2 de mathématiques à l’université de Batna. Il a 23 ans et, comme la plupart des jeunes de son âge que nous avons rencontrés et interrogés sur la sexualité, il parle de religion dès les cinq premières minutes d’entretien. Ce qui le préoccupe tout particulièrement, c’est le calcul entre hassanate (les bons points récoltés au cours de la vie grâce aux bonnes actions effectuées) et syiate (les mauvais points). De la différence entre les deux chiffres dépendra son accès au paradis. « Je prie à la mosquée cinq fois par jour. Parce qu’à la mosquée, ça te rapporte vingt-sept fois plus de hassanate qu’à la maison. »
Rabah a déjà eu trois copines. La dernière s’appelait Dhikra. « Je suis sortie avec elle un an et demi. Elle était très jolie, et son père était riche. Mais je ne l’ai jamais embrassée sur la bouche ! Que sur la main ou sur la joue. Ça fait un an qu’on n’est plus ensemble. J’ai appris qu’elle avait un nouveau copain, et qu’elle l’avait embrassé sur la bouche. Pour moi, maintenant, c’est une pute ! » Coucher avec une femme avant de se marier est pour lui « complètement impensable », car criminel aux yeux de Dieu. Par contre, il se masturbe « tous les jours ». « Je sais que c’est haram [interdit], mais c’est la pression. Et au moins, avec la masturbation, tu reçois moins de syiate que si tu te fais caresser par une fille. »
Bien sûr, rien ne nous assure que Rabah dise toute la vérité. Cependant, non seulement parler à un journaliste étranger permet de se confier sans risquer le jugement de ses concitoyens (tous les prénoms ont été changés), mais les propos du jeune Chaoui (Berbère des Aurès) correspondent en tout point à la cinquantaine de témoignages recueillis à travers le pays. Avec certes quelques variantes. (...)
Les blocages sexuels vont aussi se nicher aux endroits où on les attend le moins. Mohand, 34 ans, journaliste et activiste, est membre de Barakat, cette récente plate-forme dans laquelle se retrouvent les militants les plus engagés d’Algérie. Il explique avec candeur : « Lorsque des militants viennent à la maison, j’envoie ma femme chez sa famille en Kabylie. » Pourquoi ? « Vous comprenez, on boit, on fume, elle se sentirait mal à l’aise. » Et la politologue Naoual Belakhdar, universitaire berlinoise qui travaille sur les mouvements sociaux en Algérie, de conclure : « Un vrai signe de changement politique en Algérie apparaîtra lorsqu’on verra les manifestants descendre dans la rue avec leur copine, leur femme et leur sœur. »