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« Si on emmenait certains PDG visiter leurs usines d’approvisionnement, ils seraient eux-mêmes horrifiés »
Article mis en ligne le 9 avril 2016
dernière modification le 6 avril 2016

Entre la crise climatique, la massification de la sous-traitance, la montée en puissance des entreprises multinationales et les basculements géopolitiques en cours, le mouvement syndical international est confronté à des enjeux qui bouleversent profondément la manière dont il s’est construit depuis le XIXe siècle. La Confédération syndicale internationale (CSI), qui regroupe plus de 300 organisations syndicales dans 162 pays et territoires, est en première ligne pour répondre à ces défis. Sharan Burrow, secrétaire-générale de la CSI depuis 2010, a accepté de répondre à nos questions. « Le modèle économique actuel est devenu insoutenable en lui-même », avertit-elle.

Mis à part quelques exemples, comme en Allemagne en raison de la sortie du nucléaire ou en Scandinavie, les gouvernements ne semblent pas réfléchir sérieusement à l’élaboration de plans nationaux pour le climat. Encore moins les bâtir sur le dialogue social en incluant des dispositions pour une « transition juste ». Nous allons demander aux gouvernements et aux employeurs un dialogue autour de l’élaboration de tels plans, pour voir comment passer de notre dépendance actuelle envers les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) à une économie basée sur les énergies renouvelables.

Considérez-vous que vous avez obtenu une réponse positive de la part des entreprises à ce sujet à la COP21 ?

Pas encore. Les entreprises et les investisseurs y étaient présents en nombre, beaucoup plus qu’auparavant. Certains sont sincèrement engagés dans la transition. Mais je ne pense pas que les grandes compagnies pétrolières et gazières ou les grandes entreprises énergétiques se rendent compte à quel point le temps dont elles disposent pour la transition est compté. Elles sont face à un choix : ou bien rester des entreprises de premier plan, ou tomber dans l’oubli. Je ne pense pas que les firmes énergétiques aient pris conscience que les modèles d’approvisionnement en énergie sont en train de se transformer en profondeur. D’ores et déjà, dans le contexte actuel de chute du cours des hydrocarbures, les investisseurs retirent leur argent de ces entreprises, et des emplois sont détruits. Sans plan sérieux de transition, les grandes entreprises énergétiques deviendront vulnérables, et avec elles les travailleurs et les territoires qui en dépendent. C’est déjà le cas aux États-Unis, avec les faillites de plusieurs firmes spécialisées dans le charbon. (...)

À l’échelle globale, nous avons noué une alliance très étroite avec les grandes ONG environnementalistes et de développement sur la question du climat. Il ne fait aucun doute que ces organisations comprennent la nécessité d’une transition juste. Nous avons apporté notre soutien aux demandes de divulgation du « risque carbone » auquel sont exposées les entreprises du secteur des énergies fossiles, et nous comprenons les objectifs du mouvement pour le désinvestissement, qui est né d’une exaspération générale vis-à-vis de l’attitude de ces entreprises. Pour nous, si une entreprise refuse d’avoir un plan de réduction de ses émissions carbone et de préservation de l’emploi compatible avec une limitation du réchauffement global à 2ºC, il est naturel qu’elle devienne une cible pour le désinvestissement. (...)

Cela fait une décennie que nous faisons campagne pour une transition juste. L’Accord de Paris inclut enfin un engagement explicite en ce sens. Pour autant, pourrais-je prétendre que les gens n’ont pas peur ? Bien sûr que non. Beaucoup de ces emplois sont de bons emplois. Ils sont liés à de solides conventions collectives. Ils ont été le pilier de nombreuses collectivités et de nombreux territoires. Ils ont, à bien des égards, construit la prospérité d’aujourd’hui. Nous exigeons le respect pour les travailleurs du secteur des énergies fossiles, nous exigeons qu’il y ait un dialogue avec eux, et que leurs craintes soient effectivement surmontées, à travers un plan qui donne à ces personnes, à leurs familles et à leurs communautés des raisons de croire à l’avenir. C’est précisément sur ce point que les gouvernements sont totalement défaillants, à l’exception d’un ou deux. (...)

Les multinationales font d’énormes profits grâce à une main-d’œuvre qui est totalement dépendante d’elles, mais en grande partie invisible. En moyenne, seulement 6% de cette main-d’œuvre sont des employés directs de ces entreprises. Dans la majorité des cas, elle travaille pour des salaires de misère, dans un environnement précaire et souvent dangereux, avec des conditions terribles, y compris du travail informel et des heures supplémentaires obligatoires. J’ai visité moi-même les usines de ces chaînes d’approvisionnement : si l’on y emmenait les PDG de certaines multinationales, eux-mêmes seraient horrifiés. En dehors même des enjeux liés au respect des droits humains et au travail décent, qui sont ceux pour lesquels nous nous battons, la réalité est que le modèle économique actuel est devenu insoutenable en lui-même. (...)

Ce sont les firmes occidentales qui sont allées en Chine pour pouvoir y payer des salaires de misère. L’US Chamber of commerce, principal lobby patronal américain, s’oppose aux droits des travailleurs en Chine. Lorsque nos entreprises se comportent de cette façon, il y a un problème de fond, et nos gouvernements refusent de le reconnaître.

Avec la Russie, c’est plutôt une question de paix et de sécurité. Tout comme les travailleurs chinois sont les victimes de nos propres multinationales et des ambitions de leur gouvernement, les travailleurs russes sont victimes d’une situation géopolitique qu’ils n’ont pas créée. La situation est similaire au Moyen-Orient. (...)