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libération
Sinaï, le désert des tortures
Article mis en ligne le 24 janvier 2014
dernière modification le 22 janvier 2014

La frontière israélo-égyptienne est, depuis 2009, le théâtre d’un gigantesque trafic d’êtres humains. Des réfugiés, souvent érythréens, y sont détenus et suppliciés par des rançonneurs bédouins. Un drame méconnu et impuni.

La trentaine, le visage émacié, il aspire avec frénésie des bouffées de cigarette. La fumée se déverse aussitôt en propos confus, à peine audibles dans la cacophonie de ce bar du Caire. Tout son corps crie encore l’effroi de sa détention dans le désert du Sinaï. Yonas Habte est érythréen. C’est grâce à sa famille qu’il a survécu à l’une des plus grandes traites d’êtres humains contemporaines. Sept jours auparavant, après que ses proches ont versé les 40 000 dollars (environ 30 000 euros) de rançon exigés par les ravisseurs, Yonas a pu gagner la capitale égyptienne. Bien qu’épuisé, il s’est précipité à l’ambassade d’Erythrée : « Des dizaines d’autres sont encore détenus, aidez-nous ! » Yonas écrase son mégot, silencieux. Son regard, noir d’ivoire, traduit à lui seul sa colère contre ces diplomates qui l’ont alors congédié sans ménagement. L’index pointé vers le ciel, il reprend d’un timbre grave : « Otage, j’ai fait une promesse à Dieu. J’ai juré que, si je survivais, je tenterais tout pour mettre fin à ce trafic d’êtres humains. Si personne ne nous porte secours, je veux que le monde sache. »

« L’une des crises humanitaires les moins documentées au monde. » C’est en ces termes que l’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) qualifie le drame qui se joue dans le silence des dunes du Sinaï, à la frontière avec Israël. (...)

depuis la construction par Israël d’un mur de défense le long de sa frontière avec l’Egypte, « plus aucun migrant ou réfugié ne vient volontairement dans le Sinaï », constate Heba Morayef, directrice en Egypte de Human Rights Watch. Les détenus actuels ne sont donc plus des clandestins en route vers Tel-Aviv, uniquement des réfugiés enlevés au Soudan. Le nombre d’otages est ainsi moindre. « Plus de 400 individus », détaille Meron Estefanos. Cette militante des droits de l’homme d’origine érythréenne, basée en Suède, a entrepris un intense lobbying auprès d’institutions internationales pour mettre un terme à ce trafic. Egalement journaliste, elle est coauteure de rapports sur cette traite avec deux professeures de l’université de Tilburg, aux Pays-Bas. Selon leurs estimations, 600 millions de dollars ont été extorqués aux familles des 25 000 survivants. Et aussi à celles des 15 000 disparus. (...)