
Abus de pouvoir, humiliations, injures, menaces, coup de matraques et tirs de LBD ayant entraîné des blessures... Six mois après le début du mouvement de protestation des “gilets jaunes”, Reporters sans frontières (RSF) dresse un bilan inquiétant des incidents impliquant les forces de l’ordre et appelle l’Etat à engager des actions urgentes.
Les chiffres sont encore provisoires mais déjà inédits par leur ampleur
Hématomes causés par des coups de matraques, des tirs de LBD dans les membres inférieurs, voire brûlures causées par l’explosion de grenades de désencerclement, constituent le lot des blessures légères infligées à au moins 42 journalistes. Douze autres ont également été blessés gravement et ont été victimes de fractures de la main, côtes cassées, voire de blessures graves au visage, comme le photographe documentaire Nicolas Descottes, dont l’oeil a été “miraculeusement épargné” par le tir de LBD qui lui a fracturé la pommette et lui a valu 40 jours d’Incapacité de Travail Temporaire (ITT).
Sur les 120 incidents enregistrés, 88 sont qualifiés par RSF de “majeurs”. En plus des journalistes blessés, cette catégorie comprend notamment des cas de destruction délibérée de matériel, d’intimidations sévères, de journalistes clairement identifiés “Presse” visés par des canons à eau, des tirs de LBD, ou repoussés violemment à coup de bouclier et / ou de gaz lacrymogène. Les gardes à vue de photographes indépendants ont également été comptabilisées, tandis que les cas d’insultes, de menaces verbales et de confiscations de matériel ont été répertoriés comme incidents mineurs. (...)
Des images gênantes
Ce sont les professionnels de l’image qui payent le plus lourd tribut : 66% des journalistes victimes de violences policières sont photographes, 21% sont des vidéastes ou journalistes reporters d’images (JRI) (...)
. “Chaque semaine, on constate au moins un acte non réglementaire par manifestation,” observe un journaliste qui diffuse en direct les manifestations sur Facebook. “Il y a des interpellations qui sont parfois très violentes, ce n’est pas étonnant qu’ils veulent nous empêcher de filmer cela.”
Au-delà d’une intention délibérée d’empêcher l’enregistrement de certaines images, c’est aussi “un manque de différenciation” entre les manifestants et les journalistes qui est à l’origine d’une grande partie des incidents. (...)
“ Ce nombre anormalement élevé de journalistes blessés, et l’ampleur inédite des violences policières et des incidents ne s’expliquent pas seulement par la durée inhabituelle de ce mouvement de protestation, déclare le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. L’heure ne doit plus être au constat, mais à l’action comme s’y est engagé Emmanuel Macron. Il est urgent d’agir et de donner des consignes claires aux forces de l’ordre pour permettre aux journalistes d’exercer leur activité en sécurité et éviter les violences.”
Des plaintes qui n’aboutissent pas (...)
Le journaliste David Dufresne qui a procédé à des dizaines de signalements auprès du ministère de l’Intérieur via les réseaux sociaux et la plateforme Allô Place Beauvau n’a également jamais reçu aucune réponse, mais “ni non plus de démenti”.
Ces violences policières ne sont en tout cas pas sans conséquence sur la profession. Ce ne sont pas seulement les photographes sérieusement blessés qui s’arrêtent de travailler le temps de leur ITT. De nombreux journalistes aguerris des zones de conflit le constatent : couvrir une manifestation de “gilets jaunes” à Paris, Toulouse ou Nantes équivaut en terme de stress à celui expérimenté en zone de conflit. (...)
“La tension n’est pas seulement physique. Certains sont traumatisés par les blessures graves qu’ils photographient : des membres arrachés, des yeux crevés.” Et pour ceux qui continuent d’aller sur le terrain tous les samedis, ils ont appris à s’adapter et adopter des comportements typiques de travail en terrain hostile. Il faut désormais travailler en ayant en permanence une réflexion sur le temps et le degré d’exposition. Et surtout sortir avec des équipements de protection renforcée, en ayant à l’esprit, comme le résume un journaliste, que “nos cartes de presse ne nous protègent plus, mais au moins, elles nous permettent de conserver nos matériels de protection.” (...)