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Smartphones, bancarisation et pauvreté : Les mensonges de Melinda Gates
Article mis en ligne le 2 décembre 2019
dernière modification le 1er décembre 2019

Le 22 janvier 2019, Melinda Gates, notamment via ses activités dans le cadre de la fondation Bill & Melinda Gates, a été reçue par Bruno Le Maire, ministre de l’économie français dans la perspective du G7 de Biarritz (prévu du 24 au 26 août 2019) présidé par la France. Cette entrevue avait pour but pour Mme Gates d’inciter les gouvernements et les organisations multilatérales, par le biais du G7, d’accélérer le développement de la bancarisation dans le monde (notamment au Sud) à travers « l’élaboration de plateformes technologiques ouvertes, qui favorisent la mise en concurrence ».

Sur la base d’une étude intitulée « The long-run poverty and gender impacts of mobile money », qui vante les vertus du paiement mobile au Kenya, Melinda Gates affirme que « si, au cours des cinq prochaines années, les populations des pays les plus pauvres accèdent à des services financiers, l’économie mondiale pourrait croître de 3 600 milliards de dollars » et qu’ « en Afrique, mais aussi en Inde, de nombreuses études de terrain ont prouvé que si l’on procure à une femme une identité numérique et un compte en banque accessible par mobile, elle acquiert un statut différent et elle investit dans le bien-être de sa famille et de sa communauté » ou encore qu’ « avec un accès aux services financiers, une femme se voit différemment et qu’on la regarde différemment ».

Si l’objectif de vouloir aider à sortir de la pauvreté les populations les plus fragiles de planète semble un objectif louable, les moyens d’y parvenir proposés par la fondation Gates et notamment la bancarisation de tout un chacun sur la planète entière posent question. (...)

une étude financée par la fondation Bill & Melinda Gates elle-même a montré que l’accès aux smartphones et aux services bancaires qu’ils procurent ne permettait pas aux ménages pauvres du Kenya d’améliorer la gestion de leur budget, mais qu’au contraire il créait des phénomènes de dépendance, notamment aux jeux en ligne. (...)

Sans compter sur le fait qu’il semble peu évident que des personnes aient pu sortir de la pauvreté grâce à un service payant (les transferts financiers et les services bancaires ont un coût que semble ignorer cette étude) et qui n’augmente pas les revenus des foyers (comme l’affirment eux-mêmes les auteurs de l’article) mais ne fait que faciliter des transferts de fonds à l’échelle de personnes physiques. On constate seulement à la lecture de l’article que le service de paiement mobile permet en fait d’augmenter la consommation des ménages, rien de plus. Et surtout pas de sortir les ménages concernés de la précarité...

Un autre argument avancé par les auteurs pour vanter les mérites de la bancarisation et des transferts de fonds par mobile est que ce service augmenterait la capacité des personnes à payer les frais scolaires ou de santé grâce à des dons ou des prêts familiaux. Comme pour la question des revenus, les foyers concernés restent dans la précarité et n’ont pas accès à des services publics de qualité à un coût abordable. Ce système ne permet donc que de renforcer des services privés ayant pour but de maximiser le profit et non d’améliorer le bien-être des citoyens.

Le processus de sortie d’un des membres du ménage des activités agricoles, qui se réorientent bien souvent vers le petit commerce de produits importés, est jugé par les auteurs comme positif. Cependant, cet argument semble peu probant. En effet, cette situation ne va faire que diminuer la sécurité et la souveraineté alimentaire de pays déjà très dépendants aux importations d’aliments. (...)

Enfin, faire accéder l’entièreté de la population à des services bancaire a pour but caché de donner à tous un accès au crédit, et tout d’abord au microcrédit pour les populations du Sud. Hors, il est connu que le microcrédit ne permet pas d’améliorer la situation des ménages pauvres, au contraire. Comme le montre les lignes ci-dessus, le lobbying de la fondation Bill & Melinda Gates pour un développement des services bancaires dans les pays les plus fragiles du monde, notamment ceux accessibles via des smartphones, à pour but premier de favoriser la diffusion des concepts économiques néolibéraux et de faire croitre les profits de multinationales peu scrupuleuses et pour lesquelles, l’intérêt des populations les plus fragiles passent bien après la recherche du profit. (...)

Les risques liés à la bancarisation à outrance de la planète

Non seulement les paiements digitaux et la bancarisation favorisent la captation des données personnelles par quelques groupes mais également ils participent à une accélération de la numérisation de tous les espaces de la vie aux impacts sanitaires, écologiques, démocratiques et anthropologiques très graves. (...)

Le secteur des TIC (technologies de l’information et de la communication) devient progressivement le cœur de la catastrophe écologique en cours. Il est cependant totalement absent des débats, voire a contrario vu comme le remède défendu dans pratiquement tout l’horizon politique. La transition numérique telle qu’elle est actuellement mise en œuvre en Europe participe au pillage de pays appauvris (dits en développement) et contribue grandement au dérèglement climatique plus qu’elle n’aide à le prévenir. (...)

La part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre a en effet augmenté de moitié depuis 2013, passant de 2,5 % à 3,7 % du total des émissions mondiales. Ceci grandement alimenté par les vidéos sur smartphones et les applications illimitées qui sont créées tous les jours telles que faire des achats de vêtements, commander une boisson dans un TGV afin d’éviter la file ou faire des transactions sur son compte bancaire… (...)

Le numérique n’a rien de virtuel ou d’immatériel. Il nécessite toute une infrastructure contenant entre autres des câbles terrestres et sous-marins en cuivre, des gigantesques datacenters, des bornes wifi (la 3G consomme 15 fois plus d’énergie que le wifi, 23 fois plus pour la 4G)... À chaque technologie son lot de désastres environnementaux. L’extraction de quelques dizaines de métaux rares nécessite le recours aux énergies fossiles, le gaspillage d’énormes quantités d’eau, la destruction d’espaces naturels et le déversement de produits chimiques. L’essor des TIC explique, selon Apoli Bertrand Kameni, « le déclenchement, la fréquence et la poursuite des conflits politiques et armés en Afrique » ces trente dernières années. (...)

Cette invasion technologique qui entoure tout un chacun en 2019 vient notamment des recommandations de Digital Europe, un groupe de puissantes firmes marchandes asiatiques, étatsuniennes et européennes qui s’organisent pour défendre ses intérêts auprès de l’Union européenne. « L’un de leurs axes de travail consiste à présenter un argumentaire général pour donner du sens et de la légitimité à la transformation digitale de la société. » Sans que cela étonne vraiment, on retrouve à peu près le même discours dans un grand nombre de rapports politiques gouvernementaux (ou sur le site officiel de la Commission européenne) consacrés aux projets numériques. Tous assènent la même idée : les outils numériques sont un bienfait d’intérêt général pour autant qu’on en ait la maîtrise, ce qui implique d’agir au plus vite pour digitaliser nos sociétés… Mais, concrètement, ça veut dire quoi « digitaliser la société » ? Pour Digital Europe, cela peut tenir en une phrase : « Il faut créer (au minimum à l’échelle européenne, si possible à l’échelle mondiale) un marché numérique aussi globalisé que possible. » (...)

l’Afrique est un marché à investir avec un gros potentiel de croissance et à inonder de technologies, peu importe les conséquences sociopolitiques, écologiques, sanitaires (tout comme en Europe à vrai dire). (...)

le député français Cédric Villani, mathématicien rallié au groupe LREM, n’hésite pas à appeler aux bienfaits des multinationales pour répandre les bienfaits du numérique, ce nouveau droit humain fondamental. Cela bouillonne et, en même temps, l’université africaine a le plus grand mal à décoller, en dépit du talent de certains étudiants fort motivés et de certains universitaires bien en pointe. Ces initiatives africaines très agiles se retrouvent pour la plupart aidées non pas par des gouvernements du continent, des institutions universitaires ou entrepreneuriales locales, mais par des géants internationaux.

Institutions internationales et grandes fondations, alors qu’elles ont participé et participent encore à l’affaiblissement de très nombreuses populations, se permettent de promouvoir encore et encore des « innovations » qui ne font que développer dépendances, misère sociale et dégradations écologiques. Aucune forme d’émancipation ne peut passer par ces organismes maintes et maintes fois discrédités.