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Sous vos balles
La chasse, voilà désormais l’affaire des femmes puissantes. Ou du moins est-ce le désir du lobby, un marketing genré contre la « faiblesse » de ces dames.
Article mis en ligne le 7 septembre 2020

La photographie se déploie sur une double page : une jeune femme blonde, armée jusqu’aux dents, rôde dans quelque vallée des Pyrénées-Orientales. « Mi-poupée, mi-guerrière », écrit Paris Match, propriété du groupe Lagardère. Une « icône », ajoute le journal ; plus encore : « la plus influente des militants prochasse en France » (Femme Actuelle s’empressera de relayer). Au même moment, le métro parisien donne à voir le visage de l’intéressée, quatre mètres par trois, afin de promouvoir une plateforme vidéo entièrement dédiée à la chasse et la pêche : « Chassez vos préjugés », peut lire le passant, sensible, on l’imagine, à semblable trait d’esprit.

En parallèle, la Fédération nationale des chasseurs diffuse quelques clips Internet en vue de « casser les codes ». Sur les huit que compte la série, la moitié met en scène une chasseuse : pour faire face au poids de la vie quotidienne, celle-ci fait l’éloge de la chasse (et, en passant, de la chair morte de chevreuil) ; celle-là assure qu’il est pour elle essentiel de bien « bander » – son arc, s’entend ; celle-ci jure qu’elle devient « inarrêtable » une fois immergée dans la meute d’une chasse à cour ; celle-là, sur le point de partir à la chasse, rappelle à son conjoint qu’il devra, en son absence, passer l’aspirateur et vider le lave-vaisselle...

La disproportion, criante, a de quoi faire sourire : en France, les femmes ne représentent en réalité que 2,2% des titulaires d’une licence.

Un été de combat pour le lobby cynégétique, donc. (...)

En 2018, la Fédération avait déjà tenté de rafraîchir l’image de cette activité, l’année même où une étude Ipsos annonçait que « les Français rejettent massivement la chasse » : les chasseurs, avait-on pu lire dans les couloirs du métro parisien, ne seraient-ils pas les « premiers écologistes » du pays ? Déverser chaque année des milliers de tonnes de plomb dans la nature ne garantit pas nécessairement pareil rang. (...)

Cette ruse, on ne la connaît que trop bien : transformer l’aspiration historique des femmes à devenir des sujets politiques autonomes – aspiration qui, ces dernières années, n’est allée qu’en s’affirmant – en une forme stéréotypée de dynamisme criard, de posture viriliste, d’attitude « cool » ou de puissance outrancière. Chasser serait le fait de femmes fortes ; chasser rendrait les femmes plus fortes. Et cette force, n’est-ce donc pas ce que les femmes, si « faibles », ont toujours recherché ? L’ordre patriarcal est ainsi fait : il revêt sans mal, car tout lui sied, l’apparence trompeuse des élans féministes pour mieux dissimuler la violence qui le meut. Cette opération de marketing genré, menée tambour battant pour préparer la rentrée, réduit un idéal politique de rupture à une simple performance : un retournement de l’empowerment féminin contre les femmes.

Mais puisqu’il est affaire d’« évidence », il en est une d’une tout autre ampleur : la chasse, la domination masculine, le militarisme, le régime carné et l’oppression quotidienne qu’ont à subir les animaux font l’objet d’une critique, saisie sous l’angle du continuum historique, par un certain nombre de femmes – volontiers féministes et autrices. (...)

Lire aussi :
 Comment les chasseurs essaient (laborieusement) de séduire les femmes
(...)
"Toi, tu vas à la chasse ? Avec ton petit haut fleuri ?". "Tu vois la forêt ? Attention, pas une forêt genre gnagnagna avec 4 buissons et 3 rochers. Non "the" forêt. Genre amazonienne !". "Ce que je kiffe, c’est l’adrénaline. Quand tout le monde démarre, c’est ouf ! Vraiment je kiffe ça, la chasse à courre !". Sur les réseaux sociaux, ces inénarrables répliques sont abondamment raillées. D’où viennent-elles ? De la websérie "décalée" (ce sont eux qui le disent) de la Fédération nationale des chasseurs, mises en ligne sur Twitter et fruit de bien des moqueries.

Il y a de quoi. (...)