
LE PLUS. La saison estivale est l’occasion rêvée pour les magazines de sortir leur numéro "spécial sexe", sous couvert de culture populaire. Pratiques, préférences, nouveautés... tout y passe. La star de ces pages ? Le porno. Pour l’écrivain Karin Bernfeld, un hebdomadaire est allé trop loin, jusqu’à l’apologie de l’industrie du X mainstream. Un coup de gueule à milles lieues de ceux des conservateurs.
Le porno s’est banalisé, démocratisé. Il est le marronnier inépuisable des médias. Tout le monde en parle et en regarde tant il est devenu populaire.
Aujourd’hui, un numéro "spécial sexe" entre les mains, je m’intéresse au porno humanitaire : le porno du pauvre, sanitaire et social.
Ce n’est pas du porno, c’est de la culture
A la bibliothèque municipale, en entrant, sur un présentoir d’actualités, un magazine culturel imprimé à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, la couverture, fille seins nus, langue tendue. C’est le "spécial sexe" de l’été. J’emprunte le magazine parce que le sexe m’intéresse beaucoup évidemment ; ayant publié des livres sur le sujet, je dois rester informée.
Ouvrant la revue, j’ai un léger mouvement de recul (...)
Le journaliste, n’oubliant pas qu’il rédige dans un hebdo culturel et intellectuel se fend de son rappel historique : le phénomène est en plein essor, ça vient du Japon et la pratique viendrait des "méthodes punitives de l’époque féodale", où une femme recevait comme châtiment d’être ainsi aspergée par tous les hommes d’un village.
Bien sûr, ajoute l’article, pour les hommes adeptes tout repose sur le fantasme du viol collectif. Ensuite, vient une explication psychologique que Freud lui-même n’aurait pas reniée : la motivation de ces pauvres gars c’est de soulager leur instinct de "domination".
Mais surtout, beaucoup plus pragmatique, le grand avantage pour eux c’est qu’il n’y a plus besoin de "se prendre la tête avec les questions de consentement". Ah, c’est vrai, quelle prise de tête, le consentement ! S’il faut toujours s’assurer que l’autre ait envie de baiser, où va-t-on ? (...)
Si l’article sur le tournage du porno de banlieue, sale et violent, figure dans ce numéro "fun" de l’été, c’est uniquement pour valoriser l’autre, le porno riche, respectable et propre.
Faire ainsi un tour du coté du tiers-monde du sexe pour mieux vendre les paillettes du X-chic, c’est faire croire qu’il existe deux mondes différents dans le porno avec une frontière aussi nette que celles d’une carte géographique.
Loin de ce qui se passe dans ces départements du 93, 91, 78, de ce qui est trop "dark" pour reprendre l’expression du magazine, vous avez le X acceptable, celui mis en avant sur une autre page.
A côté d’un joli portrait, le journaliste fait l’éloge détaillé des talents d’une débutante qui va devenir la nouvelle "superstar du cul". Comprenez : il y a le sale en décharge et le beau en studio. (...)
Si vous êtes consternés à la fin de cet article en immersion, c’est que vous faîtes surement partie de La Manif Pour Tous, que vous êtes des chrétiens extrémistes.
Si vous osez penser que la pornographie érige la violence sexuelle envers les femmes comme modèle, vous êtes coincés du cul, vous êtes de ces "garants de la morale", comme cet horrible avocat "un ancien proche de Mégret" du Front national qui s’en prend au grand Gaspar Noé en voulant faire interdire son film aux moins de 18 ans. Heureusement que le ministère de la Culture tient absolument à empêcher que ce film soit classé X !
La revue l’explique, il y a deux clans : celui de la liberté sexuelle, qui utilise les applications "coups d’un soir" et s’éclatent avec le sexe, et celui des méchants censeurs, contre le porno, des puritains, des intégristes, "vieux conservateurs, anciens nationaux catholiques virés du FN" (sic).
Ainsi, dans ce monde binaire, certaines personnes n’existent pas. Ils n’envisagent pas un instant que l’on puisse rejeter la "porn-culture" et la pornocratie tout en étant gay-lesbienne-trans, pro-gender studies, athée, gauchiste, libertaire, libertin, être polyamoureux, partouzeurs, jouir tous les jours et adorer le sexe.
Dans la bibliothèque de quartier, je replace sur le présentoir le magazine culturel à côté des journaux du jour et de l’hebdo consacré au foot.
Autour de moi, filles et garçons de six ou sept ans s’amusent, rigolent. Qu’elles en profitent. Pas sûre que ces fillettes rient encore longtemps.