
Dix ans pour la construction, trente pour la déconstruction. La durée de vie utile de Superphénix n’aura été que de onze ans. Mais l’histoire de l’emblème du nucléaire à la française est loin d’être terminée.
En arrivant par la route à Creys-Malville, on aperçoit très vite l’imposant édifice du bâtiment réacteur dont la masse de béton s’élance à quatre-vingts mètres de hauteur. Installé dans une boucle du Rhône, au milieu des champs et des forêts de l’Isère, Superphénix est toujours le théâtre d’une intense activité. Quatre cents intervenants y accomplissent, depuis l’annonce de son démantèlement, il y a plus de dix ans, des opérations délicates, retirant une à une ses fonctions vitales dans le but de le désarmer définitivement. Le chantier est prévu pour durer encore une vingtaine d’années. « Volcan aux portes de Lyon », selon les mots du philosophe Lanza del Vasto, le plus grand surgénérateur du monde, dont l’abandon fut décrété par M. Lionel Jospin le 19 juin 1997, suscite encore toute l’attention des ingénieurs du Commissariat à l’énergie atomique (CEA)(...)
En 1977, un an après le début de la construction, le décret d’autorisation est accordé. Le 31 juillet, le mouvement écologiste organise un nouveau rassemblement, qui tourne mal et sera sévèrement réprimé. Ce qui prit le nom mythique de « bataille de Malville » se solde par de nombreux blessés, trois mutilés et un mort : Vital Michalon.(...)
En 1997, la gauche plurielle, une coalition socialiste, communiste et écologiste, « met à mort » Superphénix. Le nuage de Tchernobyl avait fini par survoler la France. Loin d’être en bout de course, pourtant, se désolent les ingénieurs, la centrale avait encore un « cœur de jeune homme ». Seule la moitié de son combustible avait été consommée.
On ne reviendra pas ici sur l’évaluation critique de l’âge mûr de Superphénix. Souvent mis à l’arrêt pour des problèmes techniques puis bloqué par des procédures administratives, le prototype industriel assumait plusieurs expérimentations. (...)
La mémoire des lieux, des actions, comme celle des savoir-faire, reste un enjeu capital. Dans la mesure où les matières traitées entrent dans un système de circulation, il est essentiel de s’interroger sur leur destination. Par exemple, des incertitudes demeurent quant aux blocs de béton issus du sodium de Superphénix. Que deviendront-ils dans trente ans ? Qu’adviendra-t-il de l’uranium et du plutonium, ces braises de la piscine de Creys-Malville ? EDF se réserve-t-il le choix de considérer ses lingots de combustible comme pouvant servir à un nouveau « rapide » ? Répondre à ces questions suppose de transmettre la mémoire. Celle des sites, des savoirs et des techniques, qu’il importe de sauvegarder avant que tous ceux qui ont pris part à cette construction se soient dispersés dans la nature. Car, demande M.Christophe Béhar, le directeur de l’énergie nucléaire au CEA, « qui prendra en 2025 la relève des ingénieurs partis à la retraite ? ».(...) Wikio