
C’était en 2005. Je sortais de deux années de philosophie à l’université, où André Glucksmann n’était pas franchement une référence. Ni pour mes professeurs, ni pour mes camarades, qui ne tenaient pas en estime ces « nouveaux philosophes », plus adaptés pensaient-ils aux télévisions qu’à la silencieuse activité que creuse la pensée dans l’histoire.
C’était en 2005, il y a dix ans déjà, je venais d’entrer en sciences politiques à Lille, j’avais décidé d’un peu moins lire et d’un peu plus agir, et nous avions créé avec une camarade une antenne d’Amnesty international au sein de l’IEP. Je lisais les rapports d’Amnesty et, dans ces récits terribles, il y en avait un qui ressortait particulièrement, qui criait l’injustice : la Tchétchénie, ses disparitions forcées et ses 200.000 morts, dans une sorte d’indifférence absolue. Mais il y en avait un qui n’était pas indifférent du tout, et qui allait bientôt devenir notre meilleur allié : André Glucksmann. (...)
Courage et ténacité
On peut peut-être lui reprocher beaucoup de choses sur le plan des idées mais, sur les droits humains, c’était un increvable. Pendant des années, il n’a cessé de chercher à réveiller les autorités sur ce qui se passait là-bas, au sud-ouest de la Russie, où l’on tuait et enlevait en toute impunité. Des articles sur le sujet, il en a écrit des centaines... que dis-je ? des milliers. André Glucksmann était sincèrement et profondément touché par le sort des êtres humains frappés par l’arbitraire. Que ces êtres humains soient noirs, blancs, catholiques, musulmans, proches ou loin de nous. Il ne faisait pas de tri. Son seul critère était la marque de l’injustice.
C’était en 2005, quelque semaines après le tsunami dévastateur, qui avait fait près de 200.000 morts et avait eu tant d’écho. À petit feu, le régime de Poutine avait tué autant de personnes, mais personne peu ou prou ne s’en souciait, sauf lui. Il est venu à l’IEP, l’amphithéâtre était plein, ses mots ont raisonné, le verbe claquait fort et haut dans la salle habituellement si bavarde. Tout le monde écoutait, il s’exprimait si bien, car il était animé d’une telle passion. (...)