
« Les espions d’Internet ont passé trop de temps à écouter nos pensées et peurs les plus intimes (1). » Il serait donc temps de répliquer. A l’initiative de l’Electronic Frontier Foundation (EFF) et d’autres associations de défense des libertés sur Internet, ce mardi 11 février est institué « journée de la riposte » sur les réseaux.
L’effort devra vraisemblablement être maintenu au-delà de vingt-quatre heures. Les Turcs mobilisés dans la rue contre une loi renforçant le contrôle de la Toile en témoignent. Car, depuis l’été dernier, les révélations de M. Edward Snowden, un ancien sous-traitant de l’Agence de sécurité américaine (NSA), mettent en lumière l’ampleur et la diversité des acteurs de la surveillance (2). Bien au-delà de la NSA, dont Le Monde diplomatique décrivait les filets dès 1999, ou des services de renseignement, c’est un vaste système, militaire, informatique et industriel, qui se dévoile lentement.
« Ces groupes de l’ombre ont sapé les normes de chiffrement de base et criblé la dorsale Internet avec des équipements de surveillance », écrit encore l’EFF (3). Dès lors qu’ils sont connectés, pas un lieu, pas un objet, pas une personne ne peut prétendre échapper à leurs regards. Quand ce n’est pas en téléphonant avec son ordinateur, c’est en jouant depuis son téléphone portable ; et si intercepter les câbles ne suffit pas, restent toujours les ondes radio. Au point que cette surveillance peut même se passer de surveillants, ajoutant encore à l’indifférenciation progressive du public et du privé amorcée au moins depuis que la biométrie nous sert d’identifiant social (lire Giorgio Agamben, « Comment l’obsession sécuritaire fait muter la démocratie »).
Alors pourquoi donc ces révélations en cascade n’ont-elles pas entraîné de véritables réactions, comme au moment de la mise en place du fichier Safari (Système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus) en 1974 en France, qui avait débouché sur la loi informatique et libertés ? Parce qu’une information n’entraîne pas nécessairement l’action. Devant la succession de « unes » autour de M. Snowden, on oublierait presque qu’il fut un temps où le peuple américain refusait que l’Etat espionne Al-Capone. (...)
Ce « jour de la riposte » sera-t-il le point de départ d’une réappropriation démocratique des questions de surveillance — en attendant celle des infrastructures et grands moyens d’information numériques ?