
Depuis leur retour au pouvoir, après la chute du régime soutenu par les Américains, les talibans se sont engagés dans une opération de communication, affirmant vouloir accorder une amnistie totale et respecter les droits des femmes et des minorités. Mais les témoignages recueillis au fil des jours montrent une tout autre réalité.
Cela fait près d’une semaine que la situation a basculé en Afghanistan. Mais qui croire parmi les talibans ? se demandent les Afghans. En effet, lorsque certains, parmi les nouveaux maîtres du pays, prétendent que les femmes peuvent travailler et aller à l’école, d’autres cherchent maison par maison les militants et les journalistes.
Leila*, 56 ans, se trouvait chez elle avec ses trois petits-fils et sa fille dans un village du nord du pays lorsque des combattants talibans ont frappé à sa porte il y a une semaine. Sima, sa fille de 23 ans, savait que c’étaient les combattants insurgés. Trois jours auparavant, ils étaient venus voir sa mère pour lui ordonner de préparer de la nourriture pour quinze combattants. (...)
« Ma mère leur a dit : je suis pauvre, nous raconte Sima, jointe par téléphone. Comment puis-je vous préparer à manger ? Les talibans ont battu ma mère. Elle est tombée et ils l’ont frappée avec leurs kalachnikovs. »
Sima commence à pleurer. « J’ai crié aux combattants talibans de s’arrêter. » Ils se sont arrêtés, puis, après une pause, ils ont lancé une grenade dans la pièce voisine et se sont enfuis. Si personne n’a été blessé par l’explosion, sa mère est morte des coups reçus.
Sima, qui porte désormais la burqa pour éviter tout problème, se retrouve seule pour s’occuper de ses petits frères. « J’ai très peur, car je n’ai pas de mahram [un chaperon, mari ou grand frère – ndlr] pour m’accompagner dehors au supermarché. »
« Je pensais qu’ils avaient changé mais non, ils sont pires qu’il y a vingt-cinq ans. »
Ali, un habitant de Kaboul (...)
Les habitants rapportent que les talibans cherchent les militants, les interprètes, les soldats du régime déchu et les journalistes. Selon des sources locales, ils préparent une liste des personnes qui ont travaillé pour les étrangers.
Adila, 27 ans, est militante et journaliste. Vivant à l’ouest de Kaboul, elle est l’aînée de sa famille composée de quatre sœurs et un frère. Ses parents sont âgés. Tous comptaient sur elle. « Je pouvais nourrir la famille avec mon petit salaire de journaliste et employée d’une ONG internationale américaine. Maintenant, je vis cachée. »
Adila a déjà contacté son employeur américain. Mais il l’a abandonnée et ne répond pas à ses mails. « Les talibans sont déjà allés voir mon père pour que j’arrête mon travail avec les étrangers. »
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Lorsque les talibans ont dirigé l’Afghanistan de 1996 à 2001, ils ont fermé les écoles de filles et interdit aux femmes de travailler. Les restrictions imposées aux femmes se sont assouplies après l’invasion américaine de 2001, et alors même que la guerre se poursuivait, un engagement local pour améliorer les droits des femmes avec le soutien de groupes internationaux et de donateurs a conduit à de nouvelles protections juridiques.
Cette fois, les talibans promettent de former un « gouvernement islamique inclusif de l’Afghanistan », bien qu’on ne sache pas à quoi il ressemblera : comprendra-t-il des femmes et des jeunes ? Mardi 17 août, lors d’une conférence de presse, la toute première depuis leur victoire, le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a affirmé que « les écoles ouvriront et les filles et les femmes iront à l’école en tant qu’enseignantes et étudiantes ».
Mais les témoignages recueillis au fil des jours brossent un tableau différent. Il existe une profonde méfiance à l’égard de ceux dont les méfaits entre 1996 et 2001 sont restés dans les mémoires, lorsqu’ils étaient au pouvoir pour la première fois.
« On sait que le porte-parole des talibans est un menteur et il l’a prouvé pendant ces vingt années. On a beaucoup obtenu et on s’est battus pour nos droits et on ne veut pas les perdre, explique Adila. Maintenant, je ne peux pas voir mes amies. Je ne peux pas aller travailler. Si les talibans nous trouvent, nous les militantes, je suis sûr qu’ils ne vont pas nous donner le temps de nous exprimer. Ils vont nous tuer. » (...)
Certains ont déjà défié les nouvelles autorités. Jeudi, jour de l’indépendance, quelque 200 personnes, dont sept femmes, ont manifesté en arborant le drapeau afghan aux cris de « Le drapeau est notre identité ». Elles ont été finalement dispersées à coups de fusil par les talibans. L’une des manifestantes, la militante et écrivaine Crystal Bayat, a témoigné à visage découvert pour le New York Times. « Ces 19 dernières années, dit-elle, j’ai étudié et je me suis battue pour atteindre mes objectifs, mais aujourd’hui tous mes rêves sont morts. »
En juillet, la commission afghane indépendante des droits de l’homme (AIHRC) a déclaré que, dans les zones contrôlées par les talibans, les femmes n’étaient pas autorisées à se rendre dans les centres de santé sans tuteur masculin. La télévision a été interdite et les enseignants et les étudiants ont reçu l’ordre de porter des turbans et des barbes. Des érudits religieux, des représentants du gouvernement, des journalistes, des défenseurs des droits humains et des femmes ont été victimes d’assassinats ciblés, selon la commission.