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Chroniques du Yeti
Syrie : un petit tour dans le quartier al-Qadam à Damas avec Robert Fisk
Article mis en ligne le 22 février 2016
dernière modification le 17 février 2016

Combien d’envoyés spéciaux occidentaux en Syrie pour raconter ce qu’il s’y passe ? Carrément aucun, du moins en ce qui concerne nos médias mainstream. Comment s’étonner que ceux-là se contentent de rumeurs invérifiées et triées sur le volet pour concocter leur propagande ? Par contre, le bon vieux Robert Fisk est toujours sur la brèche. Venez donc avec lui faire un tour dans les ruelles dévastées du quartier al-Qadam à Damas…

Damas reste une zone de guerre… mais quelques familles sont de retour

par Robert Fisk

Dans cette guerre subtile, les hommes de l’Armée syrienne libre, de retour dans le quartier brisé d’al-Qadam à Damas, sont autorisés à rejoindre les rangs de l’armée du gouvernement qu’ils avaient désertés.

« C’est une zone militaire », alerta un soldat syrien, tandis que j’allais inspecter les ruines au bout de la rue Ibn Hawqal.

Mais je ne voyais aucune position militaire syrienne parmi les ruines, pas même un checkpoint. « C’est une zone militaire », insista-t-il vigoureusement. Alors, j’ai réalisé. À combien de kilomètres se trouvent les troupes de Daech ? ai-je demandé. « Là », dit le soldat. « À environ deux cents mètres. »

Je regardais en bas d’une ruelle éventrée, illuminée par le soleil de midi, dans un lieu désert, sordide, avec ces résidences écrabouillées comme on en voit le long de toutes les lignes de front dans toutes les villes en guerre, à Damas, à Alep, à Falloujah, à Sarajevo, dans le Beyrouth du temps d’avant, sans doute autrefois à Cherbourg, à Stalingrad, et plus loin encore dans la guerre de mon père, dans les petits villages de la Somme.

Non, ce n’est pas la Grande guerre — même si ce conflit dure depuis plus longtemps — et une telle comparaison porte atteinte à la dignité de ceux qui tentent de retourner vivre dans ces ruines. La Syrie est la Syrie, pas l’Irak ou la Bosnie, ni une partie d’un quelconque conflit planétaire — quoiqu’il y ait des Arabes pour prétendre que tout cela s’inscrit dans le cadre d’une Troisième guerre mondiale. Les Américains n’ont-ils pas menacé de bombarder Damas ? La force aérienne russe ne bombarde-t-elle pas aujourd’hui l’État islamique ? La Turquie ne menace-t-elle pas maintenant d’envahir la Syrie ? Et l’Arabie saoudite ?

Ce qui se passe dans al-Qadam vous en dit beaucoup sur la guerre syrienne. Une fois tombé entre les mains de Jabhat al-Nosra, le quartier resta en décomposition pendant trois ans, toujours sous le contrôle du gouvernement, mais pratiquement vidé de ses habitants. Jusqu’à ce que l’armée loyaliste frappe le nord d’Alep et commence repousser ses ennemis le long de la frontière turque. Alors les gens ont commencé à revenir à al-Qadam.

Vingt-six familles rien que durant les quinze derniers jours. Un retour de dérive pour d’anciens membres de “l’Armée syrienne libre” — c’est-à-dire, je suppose, une partie de l’armée mythique de ces fameux “70 000 modérés” chers à David Cameron — plus cinq prisonniers libérés des prisons du gouvernement. La victoire crée la confiance, même temporairement, et vous pouvez le ressentir dans le camp loyaliste, bien loin de la ligne de front d’Alep.

Il y a moins de points de contrôle à Damas. (...)

Il y a même un “comité de réconciliation” des anciens qui parlent à la fois avec l’armée loyaliste et avec l’Armée syrienne libre — mais attention, précisent-ils, pas à l’EI ou al-Nosra. On les voit boire le café avec les soldats du gouvernement. Parlons plutôt de bons repas, me précise un officier des services de renseignement. Certains des hommes de l’Armée syrienne libre d’al-Qadam ont été autorisés à garder leurs armes légères — après avoir abjuré leur opposition au régime — et l’armée gouvernementale leur a fourni en retour nourriture et médicaments. Plusieurs ont été autorisés à retourner dans les rangs de l’armée qu’ils ont désertée. De nouveaux rangs bien sûr, mais de nouveau payés par le gouvernement. « Oui, évidemment, nous connaissions beaucoup d’entre eux », dit un soldat. C’est une guerre subtile. Donnez-leur l’opportunité de changer de camp, surtout depuis qu’ils ont eu l’occasion de goûter le fruit amer de l’idéologie islamiste et compris la puissance de l’armée de l’air russe. Il semble fonctionner. Le silence est retombé sur la ligne de front ici. (...)

Il faudra assurément de nombreuses années avant que les grands livres d’histoire sur cette guerre soient écrits et révèlent ses nombreux secrets. En Occident — à part les réfugiés — nous ne voyons de ce conflit qu’une lutte géopolitique. Mais après les combats d’Alep, on peut écrire que — même temporairement, même avec crainte, même s’ils sont encore peu nombreux — les gens reviennent dans leurs maisons du quartier de al-Qadam.