
Vital à l’industrie aéronautique, le titane utilisé par l’avionneur français vient largement de Russie. Une dépendance assez importante pour convaincre les institutions européennes de renoncer à des sanctions.
Cette année, grâce à une commande de l’Arabie saoudite, Airbus devrait atteindre son objectif de livrer 700 avions, soit cent de plus que l’année dernière. Ce sont donc 58 avions par mois en moyenne qui seront sortis des usines de la première entreprise d’aéronautique mondiale. Parmi les métaux nécessaires à ces appareils, certains sont devenus incontournables : c’est le cas du titane. 14 % [1] de la masse d’un Airbus A350 (130 tonnes à vide) est constituée de ce métal aussi performant que l’acier, mais nettement plus léger et résistant à la chaleur et à la corrosion.
Également utilisé dans le spatial, le nucléaire et pour la production de missiles, de coques de sous-marins et de blindages balistiques, le titane métal [2] est majoritairement consommé par l’aviation civile et militaire. En dix ans, la demande de titane pour l’aéronautique a été multipliée par deux [3]. (...)
Le principal fournisseur d’Airbus en titane est Rostec, le conglomérat d’État de défense russe, qui fournit le matériel militaire actuellement utilisé en Ukraine. Son PDG, Sergei Chemezov, ex-membre du KGB et proche de Poutine, figure sur plusieurs listes de personnalités russes sanctionnées, ainsi que les membres de sa famille.
VSMPO-Avisma, la filiale de Rostec qui approvisionne Airbus et le groupe de défense Safran, devait faire partie de la liste des entreprises de défense russes sanctionnées par l’Union européenne. Mais en avril puis en juin, Guillaume Faury, PDG d’Airbus, a plaidé pour que VSMPO-AVISMA ne soit pas sanctionnée et a obtenu que l’entreprise soit retirée de la liste des entités visées par l’Union européenne. (...)
Fin septembre 2022, lors d’une réunion d’information pour les investisseurs, le PDG d’Airbus assurait chercher d’autres fournisseurs, tout en déclarant que « l’aérospatiale ne se porterait pas aussi bien dans un monde sans titane russe ».
Cette filiale de Rostec est en effet plus qu’un simple fournisseur de métal pour Airbus. Non seulement 60 % du titane utilisé dans les avions d’Airbus est acheté auprès du conglomérat russe, mais leur partenariat a été renforcé depuis 2011 et intègre la production de pièces d’avion en titane. (...)
Cette activité est organisée autour d’une zone économique spéciale appelée « Titanium Valley », située à Verkhniaïa Salda, dans l’Oural. Les entreprises y sont exonérées de taxes sur le foncier, le transport et l’immobilier, et les revenus sont imposés à 2 %.
En juillet 2014, six mois après l’invasion de la Crimée par l’armée russe, Figeac Aero — sous-traitant d’Airbus — signait avec VSMPO-AVISMA un accord de coopération pour l’usinage de composants en titane et la production de sous-ensembles finis et assemblés. (...)
Cette activité est organisée autour d’une zone économique spéciale appelée « Titanium Valley », située à Verkhniaïa Salda, dans l’Oural. Les entreprises y sont exonérées de taxes sur le foncier, le transport et l’immobilier, et les revenus sont imposés à 2 %.
En juillet 2014, six mois après l’invasion de la Crimée par l’armée russe, Figeac Aero — sous-traitant d’Airbus — signait avec VSMPO-AVISMA un accord de coopération pour l’usinage de composants en titane et la production de sous-ensembles finis et assemblés. (...)
Des importations en hausse depuis le début de la guerre (...)
On peut supposer que le groupe, comme les autres entreprises d’aéronautique et de défense européennes, tente de constituer des stocks au cas où les importations de métal de Russie deviendraient interdites. (...)
Les industries occidentales d’aéronautique et de défense n’ont pas découvert en 2022 l’ampleur de leur dépendance au titane importé. Comme l’a rappelé récemment le Wall Street Journal, le département du commerce américain s’en préoccupe depuis des années, alertant sur la prépondérance des industries chinoises et russes dans ce secteur.
La Chine est la première productrice mondiale d’éponges de titane, un matériau poreux à partir duquel sont produits les alliages et les lingots. La Russie, elle, est le plus grand fournisseur mondial de titane de qualité aérospatiale.
Comme la Russie, l’UE convoite le titane ukrainien (...)
Classée parmi les dix principaux pays au monde pour ses réserves en minerais de titane, abritant une quarantaine de gisements, l’Ukraine est aujourd’hui sixième productrice mondiale de ce métal. (...)
Suite à son rapprochement avec l’Europe, l’État ukrainien a écarté les investissements russes.
Vapeurs toxiques
En 2014, les mines d’Irshansk et de Vilnohirsk ainsi que Crimea Titan ont été renationalisés (alors que l’Ukraine mène une politique de privatisations). Au début de la même année, l’invasion de la Crimée par la Russie a redonné à DF le contrôle de la Crimea Titan, située à la frontière entre la Crimée et le Kherson.
En représailles, l’État ukrainien a privé l’usine de son approvisionnement en minerais de titane et de l’accès à l’eau douce du canal de Crimée. En août 2018, la chaleur et l’absence d’eau auraient provoqué l’évaporation d’une cuve d’acide de l’usine, enveloppant le port d’Armyansk dans un nuage de vapeurs toxiques qui a nécessité l’évacuation de 4 000 enfants — un accident dont Moscou et Kiev s’accusent mutuellement.
Les mines de titane sont actuellement exploitées (au ralenti du fait des coupures de courant et du blocage des ports) pour partie par l’UMCC, l’entreprise d’État ukrainienne, et pour partie par l’entreprise ukraino-étasunienne Velta Resources.
Quant à l’usine de magnésium-titane de Zaporijia (ZMTC), le Bureau anti-corruption de l’Ukraine a entamé en 2014 des poursuites contre le PDG de la filiale de DF, finalement limogé en 2020. En novembre 2021, la cour d’appel d’Ukraine a renationalisé l’entreprise, vraisemblablement pour la soustraire aux investisseurs russes, et le géant minier Glencore pourrait la racheter à la faveur d’une prochaine privatisation. (...)
La Russie à la recherche de sa puissance
Cet exemple montre à quel point le partenariat entre l’Ukraine et l’Union européenne contrarie l’ambition de la Russie de « retrouver le statut de grande puissance industrielle et exportatrice de métaux qu’elle avait à l’ère soviétique », comme l’a noté une analyste du Carnegie Institute.
De fait, cette ambition se heurte violemment aux politiques d’approvisionnement en métaux que l’Europe et les États-Unis ont lancées depuis la crise des terres rares en 2010 pour s’affranchir de leur dépendance à la Chine et à la Russie. Comme le Mali, la République démocratique du Congo et la Centrafrique, l’Ukraine est devenue un terrain d’affrontement de la ruée sur les matières premières.
C’est l’objet du second volet de cette enquête : Un enjeu caché de la guerre en Ukraine : les matières premières.