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Tourisme et (mal)développement
Article mis en ligne le 5 novembre 2014
dernière modification le 31 octobre 2014

« Le tourisme est le moyen qui consiste à amener des gens qui seraient mieux chez eux dans des endroits qui seraient mieux sans eux » Philippe Meyer, chroniqueur et humoriste La fin de l’été nous donne l’occasion de questionner un phénomène souvent présenté comme devant être universel, à savoir le tourisme.

La fin de l’été nous donne l’occasion de questionner un phénomène souvent présenté comme devant être universel, à savoir le tourisme. Bien que pratiqué sous des formes extrêmement diverses, ce phénomène de société, dans son acceptation générale, est rarement remis en question. Si, bien sûr, de nombreux observateurs pointent ses effets négatifs, ces derniers sont en général considérés comme des dérives évitables. Il y aurait ainsi un mauvais tourisme (dit de masse) et un bon tourisme, contribuant au choix à l’ouverture culturelle, au développement économique ou à la démocratie. Le but ici (si tant est qu’il soit atteint) est de tenter de proposer une réflexion se situant au-delà de cette distinction et, de la sorte, de proposer une analyse critique du fait touristique en général. (...)

Une pratique de riches !

Avant toute chose, il est fondamental de considérer le tourisme pour ce qu’il est, à savoir une pratique très minoritaire, à la fois dans le temps et dans l’espace. Si, depuis l’aube de l’humanité, des êtres humains ont voyagé pour différentes raisons, ça n’est que récemment que le phénomène de déplacements de populations volontaires et temporaires n’a pu concerner qu’une fraction plus conséquente de la population. Nous sommes donc face à un phénomène inédit dans l’histoire de l’humanité puisqu’on ne peut pas véritablement parler de tourisme avant le 20e siècle |1|. L’expansion des moyens de transports (train, voiture et avion) ainsi que l’apparition des congés payés furent deux facteurs déterminants pour l’essor du voyage touristique (...)

Les populations pourront tout au plus compter sur quelques emplois mal payés, exténuants et symboliquement dévalorisants (notamment en raison du comportement de certains touristes). À ce sombre tableau, d’autres conséquences indirectes apparaissent souvent, telles que le développement de la prostitution et des trafics de drogue, la désintégration des communautés avoisinantes ou le choc culturel, entre d’un côté un luxe affiché de façon ostentatoire et de l’autre une misère sans nom. Cet élément contribue d’ailleurs probablement aux tentatives faites par de nombreux habitants du Sud de migrer vers des régions plus riches.

Dans le pire des cas, le tourisme n’est donc absolument pas synonyme de progrès économique mais un instrument offrant des perspectives de profits considérables |8| pour une minorité, qui est plus souvent originaire des mêmes pays d’où proviennent les touristes. La zone visitée n’est ainsi rien d’autre qu’un paysage de carte postale, dépourvue d’histoire, et servant uniquement de moyen d’accumulation du capital, accentuant de la sorte les inégalités régionales et mondiales. À cet égard, il est révélateur de voir le nombre de pays dont la première source de devises est le tourisme |9|. Comme pour l’exploitation des matières premières, le tourisme a été présenté, notamment suite à la crise de la dette, comme un moyen d’accumuler des rentrées d’argent, permettant à un État d’honorer ses créances. Bien entendu, la réalité contredit cela puisque cela ne fait rien d’autre que d’enfoncer des pays dans la dépendance d’un seul secteur, qui plus est totalement dépendant de la demande étrangère.

Dévastation touristique (...)

La démocratie sous le soleil ?

Un autre reproche que l’on peut faire à l’industrie touristique est de flirter avec un grand nombre de régimes autoritaires. Le cas des pays du Maghreb (Maroc, Tunisie, Égypte) illustre le mieux ce phénomène puisque l’offre de nombreux voyagistes regorge de séjours au soleil dans cette région. (...)

Même la Corée du Nord peut être visitée par le biais d’agences spécialisées, le tout évidemment chapeauté par le régime paranoïaque stalinien au pouvoir. Affirmer que cela encouragera la démocratisation du régime est au mieux de la naïveté, au pire de la publicité mensongère. A contrario, cet exemple illustre que l’industrie touristique peut parfaitement s’accommoder de régimes dictatoriaux, si tant est que leurs profits et leur réputation ne sont pas menacés.

Critiques et paradoxes de l’écotourisme

L’apparition de l’écotourisme, ou tourisme solidaire, est censé offrir une alternative à ces dérives. Il serait nécessaire d’éduquer les populations au tourisme responsable, lequel se définit en somme comme le parfait contraire du tourisme de masse. Cela dit, il est fort à craindre que derrière cette bannière, ne se cache en fait rien d’autre qu’une nouvelle mode élitiste non sans impact négatifs |13| , et ce pour plusieurs raisons (...)

La planète comme parc d’attractions

Parallèlement au développement de l’écotourisme, ces dernières années voient se développer un tourisme « des superlatifs » (plus loin, plus cher, plus dépaysant…). Nous avons déjà évoqué les voyages spatiaux mais, plus près de chez nous, Dubaï reflète un phénomène pour le moins inquiétant : se préparant à l’après pétrole, l’émirat du Golfe a cherché à créer une destination touristique de toute pièce, battant tous les records. Unique hôtel 7 étoiles de la planète, plus grande tour et plus grand centre commercial du monde, complexe d’îles artificielles représentant les cinq continents… Dubaï accentue à elle seule la plupart des éléments décrits ci-avant : aucune prise en compte des écosystèmes, foule de travailleurs proches de l’esclavage, gestion autoritaire et accaparement considérable des richesses par une petite oligarchie |15|. Nous sommes ainsi face à un « tourisme-spectacle » préoccupant, partie intégrante du consumérisme ambiant et dans lequel seule l’apparence compte. (...)

Ce sombre tableau ne doit cependant pas conduire le lecteur à culpabiliser du moindre voyage qu’il effectue. Au lieu de ça, et comme dans bien d’autres domaines, ce texte a tenté de montrer qu’un tourisme écologiquement et socialement soutenable ne pourra l’être qu’à la condition d’une démocratisation du secteur, à savoir la réappropriation par les personnes concernées (populations locales…) des processus de décisions concernant le développement touristique de leur région. De multiples initiatives positives existent déjà (tourisme chez l’habitant, visites de villages amérindiens gérés par la communauté…) et ont en commun de réduire autant que possible les intermédiaires entre les visiteurs et les habitants. Pour autant, il faut prendre conscience qu’une part importante du tourisme mondial est complètement dépendant d’un accès à un pétrole bon marché (transport aérien et automobile, chauffage et climatisation…). De ce fait, la raréfaction de l’or noir et le dépassement du pic pétrolier ne pourront que mettre un frein à cette tendance dans un avenir proche, provoquant dès lors une relocalisation forcée du tourisme. (...)