
À Montpellier, la mobilisation du collectif du quartier du Petit-Bard-Pergola illustre la lutte des habitants des quartiers populaires contre les ségrégations scolaires et urbaines.
En tant que citoyens de la République française, nous avons décidé de faire une occupation citoyenne des quatre écoles maternelles et primaires du quartier du Petit Bard tant que les institutions compétentes ne mettront pas en place les conditions minimales qui garantissent l’égalité et donnent réellement les moyens à nos enfants de réussir. Nous voulons que les institutions entendent nos revendications et dire de façon pacifique que nous n’acceptons plus cette situation et que nous voulons que cela change pour l’intérêt et l’avenir de nos enfants, et enfin que les valeurs d’égalité s’appliquent aussi dans nos quartiers. Nous attendons des représentants de la République qu’ils démontrent vraiment leur volonté politique d’agir pour les valeurs républicaines et la mixité sociale et ethnique. (...)
Cette mobilisation débute en mai 2015, en réaction à une décision du Conseil départemental de l’Hérault, de modification de l’affectation des élèves dans les collèges proches du quartier. Cette décision est accusée d’aggraver la ségrégation scolaire. Elle atteint son apogée avec le chaînage des grilles des écoles du quartier durant dix-sept jours. Cinq années après, la mobilisation dans le quartier n’a pas cessé. Cet article revient sur son origine, ses modes opératoires, qui en font une mobilisation exemplaire dans la lutte contre les discriminations et la ségrégation scolaire. Elle illustre également les formes de mobilisation dans les quartiers populaires contre les mécanismes de relégation sociale et spatiale et l’inanité de l’action des pouvoirs publics, lorsque ces derniers n’en viennent pas à les réprimer à bas bruit (...)
Une mobilisation collective inscrite dans la durée
Ce qui caractérise la mobilisation du collectif des parents d’élèves du quartier du Petit Bard Pergola, c’est son inscription dans la durée. Le chainage des écoles en mai 2015 intervient à la suite de l’échec des négociations engagées depuis plusieurs semaines. Débute alors un véritable bras de fer institutionnel. Le collectif à l’origine de la mobilisation est une organisation informelle, émanation très souple des habitants du quartier sans contours précis. Certains parents d’élèves s’y impliquent épisodiquement, d’autres de façon plus pérenne. Si certaines figures émergent plus que d’autres, il ne souhaite pas non plus se doter de portes paroles ou de leaders. (...)
Pendant que les enfants confectionnent les banderoles, les pères fabriquent les pancartes, les mères rédigent les slogans : « Tous des enfants de la République ». « Mixité sociale Bla, Bla ?? » « Non au ghetto oui à la mixité », « Apartheid social ». Au-delà du quartier, le collectif étend ses actions à l’ensemble de la ville de Montpellier : blocage des lignes du tramway, manifestations sur la place de la Comédie et devant le parvis de l’hôtel de ville.
Par son ampleur, la mobilisation dépasse rapidement le cadre de la ville. Les articles de presse se multiplient, dans les journaux locaux, mais également nationaux (...)
La presse télévisée nationale rend compte également de la mobilisation dans les journaux, mais également dans le cadre d’émissions de grande écoute : Complément d’enquête sur France 2 le 18 juin 2015 (...)
Rendre compte de cette mobilisation, c’est revenir sur son élément déclencheur. Au cours de l’année 2014, le Conseil départemental de l’Hérault prend une décision de resectorisation des collèges. Les élèves des quatre écoles du quartier, répartis jusque-là entre deux collèges François Rabelais et Las Cazes, se retrouvent rassemblés dans le seul collège Las Cazes déjà engagé dans une spirale de ghettoïsation. Cette décision a été perçu comme lourde de sens dans le contexte particulier du quartier du Petit Bard Pergola. Celui-ci est constitué d’un grand ensemble composé d’une copropriété de 900 logements construits dans les années 1960 pour loger les rapatriés d’Algérie. Ce quartier a connu depuis une histoire longue et difficile : faillite du syndic, délabrement des logements allant jusqu’au décès d’un habitant en raison de la vétusté des installations électriques, expulsions locatives, etc.
Si la presse locale, comme nationale, dépeint le Petit Bard Pergola comme un quartier « chaud », « sensible » à l’occasion de faits divers (délinquance, trafics, descentes de police), les chercheurs qui nous ont précédé sur le site, comme Isabelle Berry-Chikhaoui et Lucile Medina
, le décrivent comme un foyer de contestation et de culture de la mobilisation collective. Les habitants y sont en effet engagés depuis le début des années 2000, autour de la constitution du collectif « Justice pour le Petit Bard », en réaction aux opérations de rénovation urbaine, pour lutter contre les expulsions locatives et la dégradation constante des logements. Le quartier a également accueilli en 2009 le « Forum social des quartiers populaires » à l’initiative du MIB (Mouvement de l’immigration et des banlieues) créé en 1995 dans la continuité de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983. (...)
Le quartier du Petit Bard Pergola dispose par ailleurs d’un autre atout qui est paradoxalement celui de sa localisation géographique. Contrairement aux grands ensembles de nombreuses métropoles, le quartier ne se situe pas en périphérie, mais à proximité immédiate du centre-ville, bien desservi par plusieurs stations de tramway et jouxtant des quartiers aux niveaux de vie plus élevés. Cette situation offre des possibilités multiples d’affectation des élèves du quartier dans plusieurs collèges environnants pour des temps de trajets comparables. Le quartier ne dispose en effet pas de son propre collège, ce qui est perçu par ses habitants comme une chance pour prévenir tout phénomène de ghettoïsation scolaire déjà bien visible dans les quatre écoles du quartier. La décision d’affecter tous les élèves du quartier dans un seul collège environnant suscite ainsi l’incompréhension.
Nous n’avons pas eu directement accès aux raisons qui ont motivé cette décision, le Conseil départemental ayant refusé l’enquête. Tout porte à croire que celle-ci ait été prise pour des raisons capacitaires, la construction de nouveaux logements dans le secteur de recrutement de François Rabelais nécessitant d’y libérer des places. Le collège Las Cazes en revanche, souffrant d’une mauvaise image, était en sous-capacité.
La question centrale de la mixité sociale à l’école et l’appartenance à la République
Cette décision « technique » a été investie d’une très forte charge symbolique par les habitants du quartier. Elle a été perçue comme source d’exclusion, si ce n’est discriminatoire, sans y être associés, en dépit de la rhétorique en vogue de la participation des habitants dans les quartiers politique de la ville. Cette absence de concertation témoigne vraisemblablement d’une sous-estimation du pouvoir d’agir des habitants et de la place centrale qu’ils accordent à la scolarité. (...)
Cette revendication d’appartenance à la République révèle un véritable hiatus entre les habitants du quartier et les institutions d’État. Alors que ces dernières multiplient les discours normatifs et moralisateurs sur l’intégration, les habitants du quartier ressentent continument ce poids de la « légitimité de présence », alors même que leurs actions témoignent précisément de leur attachement à l’appartenance républicaine.
Les affiches brandies lors des manifestations avec des reproductions de cartes d’identités françaises, le logo de la République française, viennent marteler ce message. (...)
Cette revendication de mixité semble ne pas vouloir être entendue, prise au sérieux, comme s’il était inconcevable qu’elle puisse venir des habitants eux-mêmes. Les partis pris journalistiques notamment contribuent à assigner cette mobilisation à une lutte « inter-ethnique ». Le journal Libération titre ainsi le 3 juin 2015 : « en classe, on voudrait des petits blonds avec nos enfants ». Cette expression fera florès. Elle sera reprise notamment par le nouveau Président de la République Emmanuel Macron voulant rendre hommage au collectif à l’occasion de son discours du 23 mai 2018 consacré à : « La mobilisation en faveur des quartiers populaires et de la politique de la ville » (...)
Une lutte pour l’égalité
L’installation dans la durée de la lutte du collectif s’est traduite par une montée en généralité des griefs adressés aux autorités locales comme nationales. Le collectif dénonce une dégradation globale des conditions de scolarisation dès le premier degré, avec des effectifs d’élèves trop élevés par classe, l’insécurité aux alentours des écoles, des écoles squattées le week-end et durant les vacances scolaires. Il demande également un moratoire sur les fermetures de postes, réclame des ouvertures de classes permettant d’accueillir notamment les élèves de moins de trois ans. Il demande un poste CRI à temps complet (Cours Rattrapage Intégré), pour intensifier un travail notamment autour du langage, le maintien des prises en charge par le RASED (Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté), des décharges complètes pour la direction des écoles. Le collectif dénonce aussi les non-remplacements d’enseignants absents et réclame un enrichissement de l’offre éducative (classe musique, bilingue, etc.), une refonte de la sectorisation des écoles du premier degré, etc. Ces nouvelles revendications s’étendent ainsi bien au-delà des questions de mixité, elles concernent également la formation des enseignants, la question des stages des élèves de 3e, le soutien des cafés des parents, la mise à disposition de salles dédiées dans les établissements scolaires.
L’expertise citoyenne et la participation empêchée
À travers ces revendications, le collectif réclame que soit prise en compte ce qu’il qualifie « d’expertise citoyenne » qui recouvre deux sens complémentaires. Le premier procède d’une contestation du monopole de la parole experte sur la situation des quartiers populaires, par les institutions d’État, les experts, ou certains chercheurs. L’expertise sur la situation des quartiers ne peut dès lors faire l’impasse sur l’expérience de ceux qui y vivent au quotidien. Le second sens renvoie à une volonté de participation effective aux décisions qui les concernent. Le collectif prend ainsi au sérieux la question de la participation aux décisions publiques, il s’intéresse aux questions d’empowerment, à celles du « pouvoir d’agir ». (...)
Nous l’avons vu dans le cas montpelliérain, la mixité sociale à l’école ne constitue certes pas la panacée de la résolution de l’ensemble des difficultés rencontrées sur le quartier du Petit Bard Pergola, mais le déclencheur d’une mobilisation bien plus vaste mettant en tension une exigence d’égalité de traitement. (...)