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/ Mačko Dràgàn Journaliste punk-à-chat à Mouais et Télé Chez Moi
Article mis en ligne le 19 janvier 2022
dernière modification le 18 janvier 2022

Je suis au RSA depuis peu. Je n’y serai sans doute bientôt plus : il faut « revenir à l’emploi au plus vite », on m’a dit. N’importe quel emploi : manutention, ménage, caissier. Envie ou pas envie. En mode travail forcé. Témoignage d’un humain broyé par l’algorithme. Strangulé par le cadre. Humilié par le protocole.

Régulièrement, depuis deux mois, on me donne rendez-vous. On me demande mon nom, nom prénom, et plein d’autres informations pour remplir les fiches. On s’inquiète de savoir pour combien d’offres d’emploi j’ai postulé cette semaine. Moins de dix, c’est pas bon. On me dit que je dois être « raisonnable », que je dois « être prêt à faire des compromis », que je dois « m’adapter ». On m’a quand même donné deux « jokers », deux type de boulots que je ne souhaite pas faire. J’ai dit que c’était plutôt l’inverse, et que pour des raisons de principe, la plupart des métiers du monde, je n’ai pas envie de les exercer. On m’a redonné deux jokers à choisir. J’ai dit la vente, et que je n’ai plus le dos de mes vingt ans, donc si on peut m’éviter la manut’ –j’ai déjà donné. On me redemande mon nom, mon prénom et tout le reste, pour mettre à jour les fichiers. On me répète qu’il va falloir « faire des efforts ».

Dans l’un de ces bureaux, il y a des affiches touristiques de paysages paradisiaques où toi, avec ton RSA, tu ne pourras jamais aller, et un chat porte-bonheur dont la patte va et vient sur son oreille avec un bruit feutré répétitif, tchoufou, tchoufou, pendant que moi, j’aimerais juste qu’on me foute la paix, et tout ce que je peux faire, c’est de prononcer sans un bruit sous mon masque, avec ma bouche, « je vous emmerde », en dodelinant de la tête.

Mes bourreaux ont des têtes d’anges. Douces, polies et parfumées. Elles se disent « assistantes », elles se disent « sociales ». C’est faux, bien sûr. Mais elles ont l’air d’y croire. Y croient-elles ? Je leur dis que je fais du bénévolat, beaucoup. Elles me disent que c’est bien. Je leur dis que j’écris, beaucoup. Elles me disent que c’est bien aussi, tout en me faisant bien sentir qu’elles s’en foutent, c’est pas un métier, il faut travailler, maintenant, monsieur. C’est pas de leur faute, elles disent, c’est le département qui donne les ordres. Département qui lui-même répond à d’autres ordres, je suppose, chaine d’ordres avec moi tout en bas, assis sur ma chaise où chaque jour les parasites inadaptés viennent se faire humilier à la chaine pour faire plaisirs aux donneurs d’ordres anonymes.

Quatre personnes, désormais, consacrent leurs efforts salariés à surveiller et contrôler ma modeste personne, et les 530 euros que l’État lui verse mensuellement. (...)