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Le Monde Diplomatique
Trafics d’influence en Afrique
Article mis en ligne le 30 avril 2017

Passé quasiment inaperçu, le quatrième sommet afro-arabe s’est tenu à Malabo, en Guinée-Équatoriale, les 23 et 24 novembre 2016. Cette rencontre traduit l’intérêt croissant des pays du Golfe pour l’Afrique et, pour celle-ci, une diversification inédite de ses partenaires. Les pays situés au sud du Sahara redessinent leur insertion, jusqu’ici subie, dans la géopolitique mondiale.

Mai 2015. Sollicité par Riyad, le Sénégal décide de « déployer en terre sainte d’Arabie saoudite un contingent de 2 100 hommes » dans le but de « participer à la stabilisation de la région » et de « garantir la sécurité des lieux saints de l’islam » (1). L’annonce fait l’effet d’une bombe à Dakar, où l’on craint un enlisement dans le bourbier de la guerre au Yémen (2). Un an plus tard, le nombre de soldats réellement envoyés par le petit pays d’Afrique de l’Ouest demeure flou, mais le geste reste symbolique de la vaste recomposition des relations internationales du continent noir.

Le changement majeur pour l’Afrique contemporaine réside dans une diversification inédite de ses partenaires, concomitante de taux de croissance élevés. Depuis les années 2000, six pays subsahariens figurent systématiquement parmi les dix pays ayant la plus forte croissance du monde. Entre 2010 et 2015, ils étaient même sept : Éthiopie, Mozambique, Tanzanie, République démocratique du Congo, Ghana, Zambie et Nigeria. Si les perspectives s’assombrissent aujourd’hui — la croissance ne sera que de 2 % en moyenne en 2017, selon le Fonds monétaire international (FMI) —, cette période d’augmentation des richesses a changé la physionomie du continent. Multinationales et puissances étrangères, traditionnellement attirées par les matières premières, sont désormais séduites par la multiplication d’alléchants programmes d’investissement (...)

Grâce aux cours élevé des minerais et des produits de base au début du millénaire, l’Afrique a en effet bénéficié d’une manne suffisante pour entamer son désendettement et lancer de spectaculaires projets financés sur les marchés mondiaux. Longtemps attendue, la ligne de chemin de fer Addis-Abeba-Djibouti a ainsi été inaugurée en octobre 2016 ; on assiste à une concurrence accrue des ports en eau profonde dans le golfe de Guinée et dans la Corne (3). Le FMI craint dorénavant que le besoin de financement ne conduise à un réendettement incontrôlé (4).

Cette nouvelle ruée vers l’Afrique modifie progressivement sa géopolitique. Les anciennes puissances coloniales, mais aussi l’Union européenne, perdent leur hégémonie historique. (...)

Ce mouvement s’effectue au profit des pays asiatiques : la Chine, devenue le premier partenaire commercial du continent, mais aussi l’Inde et le Japon. (...)
Moins commentés que l’offensive asiatique, les flux économiques et financiers venus du monde arabe s’intensifient (...)

Quelque peu endormie depuis le sommet du Caire en 1977, la coopération afro-arabe fait l’objet d’une relance volontariste : la Ligue arabe et l’Union africaine ont organisé trois rencontres entre 2010 et 2016. La dernière s’est tenue en novembre en Guinée-Équatoriale. Les relations avaient pris leur essor après le premier choc pétrolier, en 1975. Les États du Golfe cherchaient alors à placer leur manne et à soutenir les régimes africains qui avaient rompu leurs relations diplomatiques avec Israël à la suite de la guerre des six jours. L’aide au développement imaginée à l’époque, matérialisée par la création de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (Badea), se combine désormais avec la satisfaction d’intérêts économiques et commerciaux bien compris sur un continent en quête d’investisseurs. (...)

Actrice de ce mouvement afro-arabe, la finance islamique est elle aussi en plein essor à travers son fer de lance, la Banque islamique de développement (BID) (10). Celle-ci finance un plan de 7 milliards de dollars consacré aux infrastructures pour la période 2015-2021, ce qui représente près d’un tiers de son budget. Cet engagement s’est notamment matérialisé par la signature d’un accord avec l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), qui considère la finance islamique comme un axe prioritaire. En janvier 2016, c’était au tour de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) d’accepter de la Société islamique pour le développement du secteur privé (filiale de la BID) un financement de 30 millions de dollars — potentiellement relevable à 100 millions de dollars — en faveur des petites et moyennes entreprises de la sous-région.
Dakar et les « pays frères »

Le Sénégal fait l’objet d’une attention particulière de la part de l’Arabie saoudite. Traditionnellement ouvert sur l’étranger, le petit pays d’Afrique de l’Ouest est perçu par Riyad comme une terre de mission plus facile d’accès qu’une Europe traversée par un rejet croissant de l’islam. Il serait également une porte vers les Amériques. (...)

Officiellement laïque, mais peuplé à 80 % de musulmans, le Sénégal se montre très attaché à ses liens avec les « pays frères » et aux « valeurs de l’islam », termes fréquemment utilisés par le président Macky Sall. Le pays verrait aussi dans son rapprochement avec l’OCI une occasion de financer la rénovation de ses infrastructures. Chaque réunion de l’OCI s’est en effet accompagnée de spectaculaires réalisations dans les transports et les communications.

Pour Dakar, il pourrait également s’agir de contrebalancer le poids, traditionnellement grand, des confréries dans la vie politique et sociale du pays. (...)

Avec 30 % des ressources minérales de la planète et une multiplication des perspectives d’investissement, le continent est devenu le terrain d’une guerre économique mêlant acteurs privés et puissances étrangères : mines, terres agricoles, ports, téléphonie, banques, etc., mettent aux prises de grands groupes indiens, émiratis, chinois, français, britanniques, américains, parfois soutenus par des gouvernements (France, Chine, Arabie saoudite…).

Mais, si cette nouvelle géoéconomie confère des marges de manœuvre aux capitales africaines, leur fournissant des partenaires et des financements, elle demeure le fruit d’une insertion passive dans le concert mondial. Comme il l’a toujours fait depuis des siècles, le continent s’adapte à des choix effectués ailleurs, jadis en Europe, aujourd’hui en Asie et dans le Golfe. Il répond à des demandes plus qu’il ne formule des souhaits. Le jeu des puissances extérieures évolue ainsi en fonction de leurs propres intérêts, sans toujours tenir compte des populations locales. (...)

En ce début de millénaire, l’Afrique demeure un espace ouvert, vulnérable aux chocs extérieurs. Les économistes de la Banque africaine de développement redoutent ainsi les conséquences du « Brexit » sur l’accès des produits africains au marché britannique ; ils s’inquiètent de l’affaiblissement de la Banque européenne d’investissement, dont Londres détient 16,1 % du capital. En matière politique et diplomatique, la déstabilisation du Proche-Orient et du Sahara favorise la recrudescence des interventions, voire des ingérences internationales. Le développement de mouvements djihadistes, en particulier au Sahel, et l’essor du terrorisme suscitent ainsi des actions militaires, notamment de la France, qui en profite pour sauvegarder ou conquérir des avantages pour elle-même. En 2013, l’opération « Serval », au Mali, a conforté Paris dans son rôle de gendarme du continent. L’ancienne puissance coloniale n’oublie pas les intérêts de groupes tels que celui de M. Vincent Bolloré, souvent sollicité pour assurer la logistique de ses opérations. L’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop et l’ancienne ministre malienne Aminata Dramane Traoré dénoncent une forme de recolonisation (13).