
...Aujourd’hui, sept millions de personnes originaires de vingt-quatre pays différents quittent leurs foyers pour échapper aux conflits, à la violence sociale, à la répression et aux persécutions. Près de 50 % sont des femmes, selon l’Organisation internationale des migrations. Les consulats leur refusent le plus souvent les visas, au prétexte qu’elles pourraient être victimes de trafiquants, surtout si elles sont célibataires....
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Depuis longtemps, ces personnes font appel à des tiers pour migrer, en achetant des visas, des contrats de travail, en s’endettant pour payer le voyage... Ce qui a changé, ce sont essentiellement les conditions d’entrée dans l’espace Schengen, et la fermeture du marché du travail légal aux les migrants et migrantes. La manière dont s’organisent les "trafics" correspond schématiquement à la division sexuelle du travail ordinaire, que l’on retrouve dans les secteurs légaux de l’économie : aux hommes les circuits d’information, les moyens de transport, les outils (pour la fabrication de vrais-faux papiers), les armes (la violence), et enfin les capitaux. Aux femmes, le travail sans droit
Or l’émergence de la notion de trafic et sa réalité sont concomitantes de l’appauvrissement accéléré des pays d’Afrique, des dégradations économiques et en matière de droits des femmes dans les pays de l’ex-bloc soviétique après la chute du mur de Berlin, et enfin des restrictions à l’entrée en Europe de l’Ouest. C’est aussi le résultat de l’absence d’une aide au développement centrée sur les droits des femmes, ou pire, de l’existence d’une aide au développement qui, depuis trente ans, a retiré aux femmes un certain nombre de prérogatives économiques, de commerce ou de production. Ceci parce que les agents des organisations internationales ont favorisé le contrôle des ressources par les hommes, en traitant exclusivement avec eux, y compris dans des domaines contrôlés traditionnellement par les femmes.
...La majorité des femmes que nous avons rencontrées ont décidé elles-mêmes de quitter leur pays. Et c’est lors de leur processus migratoire qu’elles se sont heurtées à la violence, à la contrainte et à l’impossibilité matérielle d’exercer une autre activité que le travail domestique clandestin (aux conditions que l’on connaît) ou la prostitution (2). La plupart d’entre elles ne souhaitent pas rester dans la prostitution, mais, par-dessus tout, elles ne veulent pas être renvoyées chez elles, quel que soit le prix à payer. C’est une des raisons qui les maintiennent de force dans des situations de domination, de clandestinité ou de contrainte, parce qu’elles n’ont, en l’état actuel des législations, pas d’alternative....
...La prostitution n’est certes pas un "métier" (au sens de techniques et savoirs inscrits dans un référentiel), comme ne le sont d’ailleurs pas bien d’autres activités réservées aux plus pauvres. Mais, en tant qu’activité génératrice de revenus, elle peut être considérée comme un travail. Ce faisant, avant de jeter l’opprobre sur les femmes prostituées ou de leur imposer notre compassion victimisante, on pourrait se demander quelles pourraient être les autres options possibles pour elles, et surtout, ce que nous ferions si nous n’étions pas du "bon côté" de l’histoire du colonialisme...
...Six mois après le vote de la loi, les jeunes femmes étrangères continuent d’arriver sur le territoire, dans des conditions qui se dégradent. Le coût de leur voyage et de leur entrée en France augmente. Devant une telle injustice sociale, les intervenants sociaux sont impuissants et ne peuvent empêcher ni les humiliations, ni les gardes à vue, ni les insultes. C’est ce qui est devenu le quotidien de ces femmes. À Lyon, l’équipe de terrain de l’association Cabiria (8) passe son temps à rechercher les femmes mises en garde à vue dans les différents commissariats de la ville ou encore conduites à la police des frontières ou au centre de rétention. Puis il faut alerter les avocats, monter un dossier pour assurer la remise en liberté ou éviter l’expulsion. Ensuite, le cas échéant, il faut préparer la défense. Les persécutions de la police ont pour effet, pour celles qui sont sous la contrainte de réseaux, de renforcer la crédibilité de ces derniers, puisqu’elles ne peuvent que se tourner vers eux pour chercher de la protection. Celles qui ne sont pas sous la contrainte de réseaux devront, en cas d’expulsion, payer leur possibilité de retour à des passeurs....
...les options prises en France qui consistent à criminaliser la prostitution n’ont pas d’effet direct sur des réseaux de trafiquants qui de toute façon agissent depuis l’étranger. En revanche, elles mettent en danger les personnes prostituées étrangères, puisque la loi, sans le dire dans son intitulé, les vise directement dans son application
...Une résolution du Parlement européen de 1996 a recommandé aux États membres de se fonder sur la conception du HCR et a insisté pour que "la violence sexuelle soit reconnue comme une forme de torture, en particulier en raison de l’utilisation du viol comme arme de guerre et de la tradition culturelle de persécutions fondées sur le sexe dans certains pays" ...