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Trente paradoxes Retour sur l’opération « burqa »
Article mis en ligne le 23 juillet 2013

Si tout ou presque – et souvent n’importe quoi – s’est déjà dit et écrit sur le « voile intégral » (appelé aussi niqab ou plus improprement burqa) et sur les femmes qui le portent en France, rien ou presque ne peut en être dit sérieusement en l’absence d’enquêtes rigoureuses, fondées notamment sur des entretiens avec un nombre conséquent de ces femmes. Il suffit en revanche d’une heure de peine, de quelques observations, d’un peu de mémoire et d’un peu de réflexion pour entrevoir le caractère singulièrement paradoxal de la gigantesque campagne « anti -burqa » – et de la nouvelle loi de prohibition qui en est sortie

Des paradoxes, en vérité, il y en a beaucoup. Nombre d’entre eux ont déjà été relevés par quelques observateurs et observatrices avisé-e-s [2], et comme le soulignait un ami lors d’un récent débat public, ces paradoxes sont pour l’essentiel les mêmes que ceux qui ont rythmé la précédente « guerre du voile » – celle qui ciblait le foulard des collégiennes et des lycéennes et qui avait abouti, le 15 mars 2004, à une loi d’interdiction renvoyant quelques centaines d’adolescentes dans les oubliettes du système scolaire, et quelques centaines d’autres à l’humiliation d’un dévoilement forcé [3]. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut en répertorier quelques-uns. (...)

Premier paradoxe

Parmi les plus zélés des partisans d’une interdiction du « voile intégral » figure la quasi-totalité des champions de la liberté d’expression, qui éditorialisaient et pétitionnaient bruyamment en octobre 2005, afin de manifester leur « soutien sans réserve » à Robert Redeker, auteur d’une tribune violemment islamophobe [4].

Il est paradoxal, plus précisément, que la célèbre formule voltairienne « Je désapprouve ce que vous dites mais je suis prêt à mourir pour que vous ayez le droit de le dire », répétée à l’envi et jusqu’à la nausée pour soutenir le droit de Robert Redeker d’insulter les musulmans [5] et d’inciter à la haine et à la discrimination [6], ou le droit de Charlie Hebdo à publier des caricatures tout aussi racistes [7], ait perdu tout à-propos face au hijab comme face au niqab. Il est paradoxal qu’aux femmes qui les portent, nos brillants voltairiens n’aient pas dit : « Je désapprouve votre voile et ce qu’il signifie (à mes yeux), mais je suis prêt à mourir pour que vous ayez le droit de le porter » – mais plutôt quelque chose de ce genre : « Je désapprouve votre voile et ce qu’il signifie, et je suis donc prêt à mourir pour que vous n’ayez pas le droit de le porter ».

Second paradoxe

Un argument implacable permet de dissiper ce premier paradoxe en écartant d’un revers de manche tout scrupule touchant à la liberté individuelle : le « voile intégral » est une atteinte « intégrale » à « la dignité de la femme », et sa prohibition s’impose justement pour libérer la femme. Ce voile est même comparé au symbole même de la non-liberté : dans nombre de réquisitoires, c’est une « prison ». Le paradoxe, c’est que, dès lors qu’une femme n’est pas prête à enlever ce voile [8], une loi qui lui interdit la traversée de « l’espace public », et lui impose par conséquent une radicale limitation de sa liberté de circulation, ressemble davantage à une prison qu’un vêtement intégralement couvrant. (...)

Trentième paradoxe

Si l’on résume les vingt-neuf paradoxes précédents, ce n’est ni la servitude volontaire ni l’aliénation ni l’enfermement ni l’incommodité physique ni la honte de soi ni le masquage du visage ni la dissimulation des cheveux qui pose problème – puisque tout cela est parfaitement toléré, voire encouragé, lorsqu’on reste dans un cadre « blanc et occidental ». Ce qui pose problème est, justement, le caractère « non-blanc » et « non-occidental » du hijab ou du niqab. Comment dès lors ne pas conclure sur un mot que, très paradoxalement, nous n’avons pas encore prononcé, un gros mot paradoxalement absent dans le « débat » officiel sur « la burqa » ? Un mot tout aussi interdit que le voile. Un mot qui pourtant résume assez bien cet amas de paradoxes, ce lâchage tous azimuts dans le deux poids deux mesures et ce blanco-centrisme. Un mot qui est bel et bien le dernier mot de toute cette histoire : le mot racisme.