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Orient XXI
Tribune Crise ukrainienne. La résistance, un « privilège blanc »
Article mis en ligne le 11 mars 2022
dernière modification le 10 mars 2022

La Russie est confrontée en Ukraine à une résistance inattendue qui va porter atteinte à l’image de son armée et à ses ambitions sur la scène internationale. L’Occident fait du peuple ukrainien un parangon d’héroïsme alors que les mouvements de résistance nationale au Proche-Orient sont, eux, qualifiés de terroristes. Une intervention armée en Iran pourrait donner une nouvelle fois la mesure de ce hiatus.

Le paroxysme du nationalisme occidental apparu durant la crise ukrainienne parmi les analystes, les commentateurs militaires, les médias et les populations est fascinant à observer et à suivre sur les réseaux sociaux. Plusieurs points méritent d’être pris en compte dans ce discours européen et on peut en tirer quelques leçons pour le Proche-Orient.
L’Occident a la peau dure

Premièrement, l’Europe et l’Occident sont encore très présents dans l’Histoire. Après la fin de la Guerre froide, l’intellectuel américain Francis Fukuyama avait écrit que le capitalisme libéral occidental avait gagné son combat contre le communisme et contre le marxisme en tant qu’idéologie. Sa thèse n’est peut-être pas fausse, mais elle est prématurée, car le capitalisme libéral occidental est confronté à la menace d’un capitalisme autoritaire marié à un hypernationalisme sous la forme de deux puissances : La Russie de Vladimir Poutine et la République populaire de Chine de Xi Jinping.

Les erreurs politiques et militaires de la Russie en Ukraine pourraient être le signe de la défaite et de la chute prochaine de l’une de ces deux puissances, et du containment de l’autre. L’incapacité de la Russie à remporter des victoires significatives et rapides avec un minimum de pertes des deux côtés a fait exploser ses prétentions au statut de grande puissance.

La puissance militaire est un facteur clé de la politique internationale, mais son utilisation comporte des risques allant de la performance lamentable à la défaite pure et simple, et si l’un ou l’autre se produit, le prestige et le rang d’une nation aux yeux des autres diminue. (...)

Aujourd’hui, face aux Ukrainiens, Moscou a été incapable de prendre en compte les dimensions sociétales et logistiques de la situation, et les tirs de reconnaissance se sont révélés inefficaces pour soutenir l’avancée de son infanterie et de ses blindés, face à des unités d’élite ukrainiennes hautement motivées. Ces revers ne sont pas seulement embarrassants sur le terrain, ils ont aussi conduit le monde à reconnaître que la force de la Russie avait été surestimée. (...)

Deuxièmement, l’exaltation de la résistance héroïque de l’Ukraine dément la notion de déclin de l’Occident et montre que tous les discours sur le recul de l’esprit et de l’ardeur martiaux sont exagérés. (...)

Résistant blanc et terroriste basané

Troisièmement, une agression ouverte engendre une résistance nationale. Personne ne peut manquer d’être impressionné par les réactions héroïques des Ukrainiens face à un acte d’agression manifeste. Mais cette exaltation de la résistance par l’Occident a mis en lumière une mentalité coloniale. On ne peut que constater que les résistances nationales au Proche-Orient ne reçoivent pas le même type d’éloge. Les déclarations des responsables occidentaux et les commentaires parfois stupides des médias mettent en lumière ce fossé. . (...)

Le marine ukrainien qui s’est sacrifié sur un pont près de Kherson dans ce qui s’apparentait à une mission-suicide a été encensé à profusion ; si un tel acte ses déroulait au Proche-Orient, les médias évoqueraient un fanatisme qui ne peut s’expliquer que par la culture !

Des commentateurs se transforment même en conseillers militaires, expliquant aux Ukrainiens, civils et militaires, comment utiliser des tactiques de guerre urbaine avec de petites unités, tandis que des responsables de pays d’Europe occidentale font savoir qu’ils ne voient aucune objection à ce que leurs citoyens se rendent en Ukraine pour y combattre. Les réfugiés ukrainiens sont les bienvenus en Europe occidentale parce qu’ils sont des immigrants « qualifiés » qui apportent des compétences, mais aussi parce qu’ils sont « blonds et ont les yeux bleus comme nous », comme l’a déclaré sur les médias sociaux un observateur — qui n’était pas blond et dont les yeux n’étaient pas bleus.

Plus que toute autre chose, cette guerre a réussi à faire de l’Ukraine une nation pleinement européenne (...)

L’élan européen de sympathie et de soutien à l’égard d’une guerre de résistance nationale menée par un « peuple blanc » rappelle l’époque des guerres napoléoniennes, au début du XIXe siècle, lorsque les gouvernements et les peuples européens saluaient la résistance nationale du peuple espagnol qui menait une guérilla violente contre les soldats français de Napoléon Bonaparte, ainsi que celle du peuple calabrais contre le même ennemi. Ces guerres ont été marquées par des atrocités dans les deux camps. Après la fin des guerres napoléoniennes en 1815, les guerres internes ont été impitoyablement réprimées en Europe parce qu’elles étaient associées aux soulèvements du prolétariat industriel. (...)