Cet été, les livreurs de Deliveroo en France se sont mobilisés contre la baisse du tarif des courses, décidée unilatéralement par la plateforme de livraison de plats préparés. Celle-ci a adopté une nouvelle grille tarifaire, pouvant faire perdre à certains coursiers plus d’un tiers de leur revenus.
En Allemagne, Deliveroo a annoncé le 11 août mettre fin à toutes ses activités, laissant tous ses livreurs sur le carreau sans aucune forme de compensation. Des actions en justice se préparent avec l’aide de syndicats pour demander une reconnaissance des livreurs allemands comme salariés licenciés. Partout en Europe, le combat des livreurs de ces plateformes (Deliveroo, Take Eat Easy, qui a fait faillite, Uber Eats…) se joue sur le terrain juridique, pour faire reconnaître ces travailleurs géolocalisés comme des salariés, avec les droits afférents : cotisations retraite, assurance chômage, assurance maladie, assurance en cas d’accidents du travail, congés payés… Plusieurs jugements ont déjà donné raison aux livreurs [1].
Une loi en France pour protéger Deliveroo ou Uber des revendications de leurs « collaborateurs »
Pour combien de temps ? La loi sur les mobilités, qui vient de revenir en discussion au Parlement, risque de rendre beaucoup plus ardues ces demandes de requalification. Son article 20 vise littéralement à prémunir, via des « chartes », les plateformes contre de telles actions en justice [2]. En avril dernier, l’Institut Montaigne, le think tank très proche du patronat français, proposait déjà dans un rapport de « sécuriser l’interprétation juridique du travail indépendant sur les plateformes ».
Il faut dire que Uber, Deliveroo et les entreprises similaires ne sont pas avares de ressources quand il s’agit de faire du lobbying. (...)
Dans les registres officiels du lobbying européen, Uber déclare moins de 900 000 euros de dépenses en 2017, ce qui est relativement peu pour une entreprise de cette taille. « Mais il suffit de creuser un peu plus et il devient évident que l’influence d’Uber à Bruxelles est beaucoup plus importante que cela », observe le rapport de CEO. Ainsi, l’entreprise de chauffeurs a obtenu plus de 50 rendez-vous avec des membres de la précédente Commission européenne entre 2014 et 2018. L’entreprise est aussi membre de plusieurs groupes de lobbyistes bruxellois (...)
Quand Uber souhaite faire part de ses « idées de réforme » aux décideurs politiques
En décembre 2017, la Commission européenne présentait une proposition pour une directive pour des « conditions de travail transparente et prévisibles ». Le texte doit établir des droits pour tous les travailleurs, dont les précaires et les indépendants. En janvier 2018, Uber rencontre le chef du cabinet de la commissaire à l’Emploi, Marianne Thyssen, pour discuter de cette directive. En février, Uber poursuit l’échange en envoyant au cabinet de la commissaire un « Livre blanc sur le travail et la protection sociale en Europe ». Dans ce document, l’entreprise écrit qu’elle ne croit pas que la solution soit d’intégrer les travailleurs « dans des modes de travail traditionnels », et qu’elle souhaite « s’engager dans des discussions constructives » sur la façon dont Uber « peut contribuer à un meilleur avenir du travail pour tous ». L’entreprise de San Francisco y fait part de ses « idées de réforme », dont celle d’un « système de droits sociaux portables », des droits qui dépendent des travailleurs individuellement et pas des entreprises, celles ne devant donc plus contribuer aux assurances santé, chômage ou retraite. (...)
Pendant que ces multinationales déploient leur lobbying pour influencer les politiques européennes en leur faveur, la justice poursuit son travail. D’autres procès sont en cours pour demander la requalification de coursiers d’Uber Eats en salariés qui disposent de droits.