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Ukraine : « La dévastation de l’environnement est une bombe à retardement »
Article mis en ligne le 3 mars 2022

Bombardements russes, incendies, eau contaminée, fuites radioactives... La guerre contre l’Ukraine pollue. Les dommages pourraient être irréversibles. Le sol, lui, durablement contaminé. Mais les retombées ne sont que très peu étudiées.

La guerre en Ukraine est partie pour durer, avec ses lots de drames, de morts et de destructions. Parmi les victimes, l’environnement pourrait se retrouver en première ligne, tant les bombardements russes et les affrontements ont déjà causé de graves pollutions et des dégradations non négligeables. Avec ses eaux contaminées, ses incendies et ses fuites radioactives, l’Ukraine risque de devenir un cas emblématique de ce que les historiens appellent le « Thanatocène » : « cette ère de la guerre » marquée par la folie et l’écocide.

Depuis le 24 février, des panaches de fumée s’échappent des sites militaires attaqués par l’aviation russe. Des stocks de munitions, des usines d’armement et des réservoirs de carburants brûlent à ciel ouvert. Des chars labourent les tourbières au nord du pays, des incendies ravagent des forêts, tandis que des combats ont lieu au seuil de centrales nucléaires.

« La guerre pollue. C’est une évidence, mais cette pollution est très peu étudiée et documentée. C’est un angle mort », souligne Bastien Alex, coauteur du livre La Guerre chaude (Presses de Sciences Po) et spécialiste des questions climatiques. Pour l’instant, les données manquent pour évaluer précisément les dommages causés aux écosystèmes, mais des informations parcellaires remontent via les médias locaux et les réseaux sociaux. (...)

Sur le long terme, les dommages pourraient être conséquents et les sols durablement contaminés.

« En guerre, l’empoisonnement et la destruction de l’environnement n’ont rien de marginal, analyse Ben Cramer, chercheur en sécurité environnementale. Elle s’inscrit dans une stratégie plus générale de l’envahisseur cherchant à déployer ses capacités de nuisance : la terreur et la pollution sont des armes parmi d’autres. » (...)

À proximité de la mer Noire, des installations navales ont été touchées par les bombardements, notamment le port d’Otchakiv ou de Pivdenny. Les zones côtières et l’environnement marin pourraient être pollués. Près d’Odessa, l’armée ukrainienne a également posé des mines terrestres le long de plusieurs plages pour empêcher un débarquement. L’élimination de ces mines prendra à terme énormément de temps. Les combats près de Kherson (au sud), pour prendre le pont sur le Dniepr, ont aussi provoqué des incendies dans la réserve de biosphère de la mer Noire, une des plus grandes zones naturelles protégées d’Ukraine qui abrite plusieurs espèces en voie de disparition (...)

Ces incendies ont été détectés via des images satellites de la Nasa.

L’Ukraine est un pays fortement industrialisé avec de nombreuses usines chimiques et métallurgiques qui, si elles venaient à être attaquées ou si le manque de personnel conduisait à une baisse de la sécurité, pourraient devenir très dangereuses. D’autant plus que de nombreuses grandes villes accueillent ces industries et se trouvent en même temps sur la ligne de front comme Kiev, Kharkiv ou Marioupol. Le 25 février, un énorme incendie a été signalé à l’usine de tracteurs de Kharkiv, par exemple.
Des destructions pouvant avoir « autant de conséquences que celles de Lubrizol en France » (...)

L’armée russe cible avant tout des infrastructures dites « stratégiques », à savoir les services publics de l’eau, de l’énergie et de l’assainissement. « Des infrastructures qui sont aussi celles qui, une fois détruites, font le plus de dégâts environnementaux », note Bastien Alex.

Le 26 février, un gazoduc a été détruit près du village de Sahy. Un pipeline à Kharkiv était aussi incendié le 27 février. Des combats se sont déroulés à proximité de la centrale hydroélectrique de Kakhovka sur le Dniepr. De nombreuses raffineries et des stations-service ont également été détruites, des lieux d’extraction de pétrole aussi, notamment à Okhtyrka. Des images satellites révèlent l’ampleur des incendies. (...)

« Le risque d’un accident nucléaire est réel »

Mais la menace environnementale la plus importante réside avant tout dans le risque nucléaire. L’Ukraine possède le huitième parc nucléaire au monde avec quinze réacteurs en activité, et produit grâce à eux près de 50 % de son électricité.

Dès les premiers jours du conflit, le nucléaire s’est retrouvé au cœur de la bataille. Tchernobyl a été envahie par l’armée russe et une hausse de la radioactivité a été observée. (...)

« Cette guerre dans un pays avec quinze réacteurs nucléaires est complètement inédite, s’alarme Bruno Chareyron, de la Criirad. C’est la première fois que deux armées s’affrontent sur un terrain aussi nucléarisé et que des infrastructures nucléaires deviennent des enjeux militaires. C’est extrêmement préoccupant. » (...)

L’exemple du Donbass : une catastrophe environnementale

Pour mieux prendre la mesure du désastre environnemental qui se profile à l’horizon, un pas de côté, vers le Donbass, n’est pas inutile. Ce territoire où s’affrontent l’armée ukrainienne et les séparatistes prorusses est en guerre depuis huit ans ; il donne une idée de ce que pourrait devenir l’Ukraine, si jamais le conflit s’enlisait.

Le Donbass est désormais l’une des régions les plus polluées d’Europe. La destruction des infrastructures minières causée par la guerre en 2014, les sabotages des gazoducs et des canalisations, la contamination des sols et l’assèchement des cours d’eau ont conduit à transformer le Donbass en une nouvelle zone rouge, dévastée et sacrifiée, à l’image de la zone d’exclusion de Tchernobyl ou de Verdun. (...)

« Indéniablement, cette guerre en Ukraine aura des répercussions sur le long terme, juge Ben Cramer. La dévastation de l’environnement est une bombe à retardement. »