Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
l’Humanité
Ukraine. Un mois après la guerre éclair, le bourbier
Article mis en ligne le 25 mars 2022

Le président russe a envahi ce pays depuis un mois. Ce conflit criminel décrété par le Kremlin, qui a déjà causé des milliers de morts et une crise humanitaire, s’enlise, semblant refléter une erreur stratégique de la part de Moscou.

Vladimir Poutine a décrété l’invasion de l’Ukraine dans la nuit du 23 au 24 février. L’offensive visait des installations militaires et plusieurs localités : Kharkiv, Kiev, Marioupol, Odessa. Un mois et des milliers de morts plus tard, qui s’ajoutent aux 14 000 victimes du conflit dans le Donbass depuis 2014, la Russie détient, à l’exception de la ville assiégée de Marioupol, les pourtours de la mer d’Azov et a avancé le long de sa frontière terrestre et de celle de la Biélorussie (voir carte ci-dessous). Néanmoins, aucune grande ville, excepté Kherson, n’est tombée. (...)

1. Pour Poutine, une guerre déjà perdue ?

À 4 heures du matin, le 24 février, le président russe prend la parole dans un discours télévisé. Il annonce : « Conformément aux traités d’amitié et d’assistance mutuelle avec les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk ratifiés par l’Assemblée fédérale le 22 février de cette année, j’ai pris la décision de mener une opération militaire spéciale. » (...)

Quatre semaines plus tard, l’offensive « s’enlise malgré toutes les destructions », a affirmé, mercredi, le chancelier allemand Olaf Scholz. Les importantes difficultés militaires font douter d’un succès sur le terrain. « Tout dépend du but de Vladimir Poutine. Est-ce s’arroger l’accès à la mer d’Azov, fortifier le Donbass et obtenir quelques victoires symboliques, ou faire capituler Volodymyr Zelensky ? La seconde option semble désormais peu probable », analyse une journaliste russe.

Avant le conflit, les diverses demandes diplomatiques russes portaient sur la neutralité de l’Ukraine, sa démilitarisation et la renégociation d’une architecture de sécurité en Europe avec les États-Unis. La pression verbale et militaire exercée par Poutine l’a emmené jusqu’à la guerre, pour ne pas faire face à un échec. « Englué dans une surenchère meurtrière, il provoque le rapprochement de l’Otan de ses frontières, une Ukraine surarmée avec une perspective réelle d’association et le retour des États-Unis et de l’Alliance atlantique en Europe », analyse l’historien Andreï Gratchev. Pour sortir de cet échec, quelle que soit l’issue de la guerre, l’idée de faire passer une défaite pour une victoire est évoquée par Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférences en science politique à l’université de Nanterre : « Il est possible d’obtenir une concession de la part de Kiev et de la présenter en interne comme un succès. Mais on n’en prend pas le chemin. » Et Poutine s’enferme dans un discours fasciste et la répression. (...)

2. Le regain du sentiment national ukrainien

Depuis quatre semaines, le conflit a servi de catalyseur pour unifier le pays contre l’envahisseur. Les bombardements quotidiens, les centaines de morts, les destructions ont réveillé un sentiment national dans la société et sur l’ensemble du territoire. (...)

Selon l’ancien général américain Ben Hodges, interviewé par l’Express, « les jours prochains seront déterminants pour l’issue du conflit. Nous sommes à un moment décisif, car les Russes sont en sérieuse difficulté ».
4. États-Unis et Chine, les grands vainqueurs ?

La rivalité entre les États-Unis et la Chine s’annonçait comme la matrice géopolitique du XXIe siècle. L’invasion d’un pays souverain par un pays membre du Conseil de sécurité est-elle de nature à rebattre ces cartes ? Après un mois de conflit, la position de Washington est clairement renforcée. Alors que, dans un premier temps, les pays européens se sont placés sur la ligne de front diplomatique (sanctions, question de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, fourniture d’armes à l’armée ukrainienne), Washington a retrouvé et même renforcé depuis sa place de leader. Son bras armé – l’Otan – est passé d’un état de « mort cérébrale » (diagnostiqué par Emmanuel Macron) à celui d’alliance relégitimée. (...)

D’une certaine façon, le président états-unien voit prendre forme sa coalition des démocraties, pour laquelle il avait tenu un sommet en décembre dernier. Sauf que l’autonomisation de certains « alliés » sur ce sujet (Israël et Inde) lui dénie la possibilité de se décréter nouveau chef du « monde libre » comme le fit, en son temps, Ronald Reagan.

La Chine, elle, manie la prudence. Pékin appelle à des pourparlers, assure comprendre les craintes de son allié russe liées aux velléités d’élargissement de l’Otan tout en rejetant le séparatisme de Donetsk et Louhansk qui évoque, à ses yeux, la situation taïwanaise. Pour autant, la deuxième puissance mondiale n’est à l’origine d’aucune initiative diplomatique connue (...)

La Chine ne peut prendre le risque de se couper des marchés d’exportation occidentaux et du système financier international pour sortir la Russie de son isolement. En revanche, les autorités chinoises pourraient en profiter pour renforcer leur emprise sur le puissant voisin, devenu, depuis l’annexion de la Crimée en 2014, le premier partenaire économique du pays. Une forme de vassalisation qui ne dit pas son nom.
5. Des négociations de paix incertaines

Face à un Vladimir Poutine inflexible sur ses objectifs de guerre, la marge de manœuvre de Volodymyr Zelensky paraît bien étroite, même si le président ukrainien a reconnu le caractère « nécessaire » des futures négociations qui ne s’annoncent « ni faciles ni agréables ». En pilonnant Marioupol et en encerclant Kiev tout en avançant vers le port stratégique et russophone d’Odessa, l’armée russe vise la capitulation du gouvernement de Zelensky.

Pour la Russie, il symbolise une Ukraine tournée vers l’Ouest, favorable à l’adhésion à l’Union européenne et à l’Otan, voire à une sortie du mémorandum de Budapest (qui garantit, entre autres, le statut du pays comme puissance non nucléaire), comme l’a évoqué le président ukrainien lors de la dernière conférence de Munich sur la sécurité en février 2022, quelques jours avant le déclenchement de l’offensive russe. En clair, Moscou exige le retour d’un État tampon, voire croupion à ses portes, tandis que Kiev prétend faire valoir ses droits de peuple libre et souverain, quitte à faire basculer les équilibres sécuritaires issus d’un monde post-guerre froide, adoptés dans la douleur afin de limiter les risques de conflit nucléaire. Volodymyr Zelensky a d’ailleurs promis qu’il soumettrait les termes d’un hypothétique accord de paix à référendum.