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Ukraine : « Un mouvement de libération non extrémiste de désobéissance civique »
Article mis en ligne le 11 mars 2014

Quel est le rôle exact des groupes d’extrême droite au sein du mouvement protestataire en Ukraine ? Comment cela est-il analysé et relayé par les médias internationaux depuis quelques semaines ? Des chercheurs, spécialistes du nationalisme ukrainien, ont publié en février une déclaration collective pour dénoncer une déformation de l’impact et de la prépondérance de l’extrême-droite ukrainienne dans le mouvement en cours. Ils se disent « choqués par une dangereuse tendance qui se manifeste dans trop de reportages des médias internationaux au sujet des récents événements en Ukraine ». Des reportages qui sous couvert d’antifascisme font le jeu de l’impérialisme russe. Tribune.

Nous sommes un groupe de chercheurs comprenant des spécialistes dans le domaine des études sur le nationalisme ukrainien, et nous sommes pour la plupart des experts de la droite radicale ukrainienne post-soviétique. Plusieurs d’entre nous publient régulièrement dans des journaux scientifiques et dans la presse universitaire. D’autres mènent leurs recherches au sein d’organisations gouvernementales ou non-gouvernementales, spécialisées dans l’observation de la xénophobie en Ukraine.

Du fait de notre spécialisation professionnelle et de notre expérience de recherche, nous sommes conscients des problèmes, des dangers et des conséquences potentielles de l’engagement de certains groupes extrémistes de droite dans les manifestations ukrainiennes. Après des années d’études approfondies sur ce sujet, nous comprenons mieux que beaucoup d’autres commentateurs, les risques que cette participation de l’extrême droite entraîne pour l’Euromaïdan. Plusieurs de nos commentaires critiques envers les tendances nationalistes ont déclenché des réponses de colère de la part d’ethnocentristes en Ukraine et dans la diaspora ukrainienne en Europe de l’ouest.

Déformation par les médias

Bien que nous soyons critiques envers l’activisme de l’extrême droite dans l’Euromaïdan, nous sommes néanmoins choqués par une dangereuse tendance qui se manifeste dans trop de reportages des médias internationaux au sujet des récents événements en Ukraine. Un nombre croissant d’évaluations du mouvement protestataire ukrainien, à un degré ou à un autre, déforment le rôle, la prépondérance et l’impact de l’extrême-droite ukrainienne dans le mouvement protestataire. De nombreux reportages prétendent que le mouvement pro-européen a été infiltré, qu’il est conduit ou dominé par des groupes radicaux ethnocentristes et fanatiques. Plusieurs présentations donnent l’impression trompeuse que les acteurs ultranationalistes et leurs idées sont le cœur ou le moteur des manifestations ukrainiennes. Les photographies graphiques, les citations croustillantes, les comparaisons excessives et les sombres références historiques sont très demandées. Tout cela se mêle avec une prise en compte disproportionnée d’un élément particulièrement visible, bien que politiquement mineur, dans la mosaïque confuse formée par les centaines de milliers de manifestants avec leurs motivations aussi diverses que le sont leurs parcours et leurs buts.

La résistance à Kiev, qu’elle soit violente ou non, inclut des représentants de toutes les tendances politiques, aussi bien que des personnes sans idéologie qui auraient du mal à se situer politiquement. Non seulement les manifestants pacifiques, mais aussi ceux qui font usage de bâtons, de pierres et même de cocktails Molotov dans leur confrontation physique avec les unités spéciales de la police et les voyous employés par le gouvernement, constituent un vaste mouvement, qui n’est pas centralisé. La plupart des manifestants n’usent de violence qu’en réponse à la férocité policière grandissante et à la radicalisation du régime de Ianoukovytch. Les manifestants comprennent des conservateurs, des socialistes et des libéraux, des nationalistes et des internationalistes, des chrétiens, des non-chrétiens et des athées.

Le mouvement reflète la totalité de la population ukrainienne (...)

nous appelons les commentateurs, spécialement ceux situés politiquement à gauche, à prendre des précautions lorsqu’ils expriment des critiques justifiées sur l’ethno-nationalisme ukrainien. Les déclarations les plus alarmistes sur l’Euromaïdan sont susceptibles d’être instrumentalisées par les “techniciens politiques” du Kremlin, afin de servir la mise en œuvre des projets géopolitiques de Poutine. En fournissant des munitions à la lutte de Moscou contre l’indépendance de l’Ukraine, un tel alarmisme aide involontairement une force politique qui est une menace beaucoup plus sérieuse pour la justice sociale, les droits des minorités et l’égalité politique, que tous les ethnocentristes ukrainiens rassemblés.

Nous appelons aussi les commentateurs de l’Ouest [de l’Europe] à montrer de l’empathie pour un état-nation qui est très jeune, encore fragile, et qui subit une grave menace étrangère. La situation fragile dans laquelle se trouve encore l’Ukraine et les complications énormes de la vie quotidienne dans une telle société en transition donnent naissance à une grande diversité d’opinions, de comportements et de discours étranges, destructeurs et contradictoires. Le soutien au fondamentalisme, à l’ethnocentrisme et à l’ultra-nationalisme a souvent plus à voir avec la confusion permanente et l’angoisse quotidienne d’un peuple vivant dans de pareilles conditions, qu’avec ses convictions profondes. (...)

Enfin, nous appelons tous ceux qui n’ont pas d’intérêt particulier ou pas de connaissance particulière de l’Ukraine, à ne pas commenter les questions nationales complexes de cette région sans s’être livré au préalable à une recherche approfondie. Étant des spécialistes de ce domaine, plusieurs d’entre nous luttent quotidiennement pour interpréter la radicalisation politique grandissante et la dérive paramilitaire du mouvement protestataire ukrainien. En contrepartie, on doit toujours rappeler que face à la terreur d’État exercée contre la population ukrainienne, un nombre grandissant de personnes ordinaires ou d’intellectuels ukrainiens à Kiev, arrivent à cette conclusion que, pour être préférable, la résistance non-violente n’est plus possible concrètement. Les reporters qui ont le temps nécessaire, l’énergie et les moyens, doivent venir visiter l’Ukraine, et / ou faire des lectures sérieuses sur les publications qui leur servent de références pour leurs articles. Ceux qui n’ont pas la possibilité de le faire doivent plutôt se consacrer à des sujets qui leur sont plus familiers, plus accessibles et présentent moins d’ambiguïté. Cela permettra d’éviter, à l’avenir, les nombreux clichés hélas, les erreurs factuelles et les opinions mal informées qui accompagnent souvent les débats sur les événements en Ukraine.