
Un code du travail alternatif ? C’est ce que propose un collectif de chercheurs spécialisés en droit du travail. Ils y ont consacré un an et demi. Loin des dérégulations successives, dont le point d’orgue a été la loi Travail, leur projet vise à réinsérer les travailleurs exclus du salariat : auto-entrepreneurs, travailleurs ubérisés, contrats précaires…
Ce code du travail alternatif reconnaît également le droit fondamental au temps libre et propose de véritables outils pour lutter contre les inégalités entre hommes et femmes. Un document utile pour alimenter le débat alors que François Fillon ou Emmanuel Macron envisagent d’affaiblir encore davantage la protection des travailleurs. (...)
la loi travail facilite les licenciements, affaiblit le rôle des syndicats et remet en cause les 35 heures. Elle prévoit qu’un employeur puisse déroger aux protections des travailleurs prévues dans le code du travail par un simple accord d’entreprise. (...)
quelles alternatives ? Une vingtaine d’universitaires spécialisés en droit du travail, le Groupe de recherche pour un autre code du travail, publient ce 22 mars leur proposition de code du travail alternatif. Ils y planchent depuis plus d’un an et ont consulté six syndicats [1]. Résultat ? Le texte est d’abord simplifié – il compte 390 pages, soit « quatre fois plus court que le texte qu’il remplace ». Ils répondent ainsi à l’une des critiques sur l’actuel Code du travail, souvent jugés trop complexe.
Le nouveau petit livre rouge n’en est pas moins protecteur pour autant. Sans ces protections, « les inégalités exploseraient, l’entreprise serait laissée au despotisme du plus fort et la santé et même la vie des personnes seraient directement menacées au travail », préviennent les auteurs. « Il est urgent de clarifier, de simplifier et d’adapter le code du travail aux réalités nouvelles. Mais il est urgent aussi de consolider un édifice fragilisé, essentiel à la cohésion sociale et, au‐delà, à la paix », ambitionnent-ils. (...)
CDI universel et suppression des contrats précaires
« En France, la part des travailleurs dont le statut est précaire a connu une très forte augmentation dans les années 1980 et 1990. Depuis les années 2000, cette part s’est stabilisée à un niveau élevé, aux alentours de 12 % de l’emploi total, rappellent les universitaires. Le CDD est aujourd’hui massivement utilisé, en violation de la loi, comme une forme de période d’essai sur des emplois stables correspondant à l’activité normale et permanente de l’entreprise », dénoncent-ils. À ce scandale, ils répondent par… la suppression des contrats à durée déterminée. (...)
« La solution proposée est radicalement opposée à celle habituellement désignée sous le nom de « contrat unique », précisent les membres du groupe de recherche. « Ces contrats uniques prétendent faire acquérir des droits progressivement aux salariés. Les salariés de peu d’ancienneté n’ont droit à aucune protection de leur emploi. Et, il est généralement prévu que même les contrats anciens peuvent être rompus sans motif exprimé. Un tel contrat unique unifie en généralisant la précarité. » Le projet de CDI généralisé ici défendu est bien différent : le contrat unique vise à supprimer ou à réduire l’obligation de justifier la rupture d’un contrat. Le CDI à clause de durée initiale, au contraire, généralise l’obligation de justifier la fin du contrat, même lorsqu’une durée limitée a été stipulée à la signature.
Rôle des syndicats renforcé (...)
Le texte prévoit de permettre à tous les salariés de disposer de représentants syndicaux, même au sein des très petites entreprises de moins de dix employés. Cela serait possible via – ce serait une nouveauté – des représentants syndicaux inter-entreprises, « afin que tous les salariés puissent exercer leurs droits à l’expression collective ».
Le droit au temps libre reconnu
La loi travail remet en cause les 35 heures en élargissant les possibilités d’y déroger, une tendance qu’envisage d’amplifier Emmanuel Macron. Le Sénat en avait même voté l’abrogation. (...)
À contre-courant de ces attaques, le projet alternatif de code du travail fait « le choix de favoriser l’emploi et donc d’inciter à la réduction du temps de travail ». (...)
Le texte reconnaît même le droit au « temps libre » pour tous les travailleurs. « Actuellement, le code du travail oppose le temps de travail au temps de repos », écrivent-ils. Mais « le temps qui n’est pas consacré au travail n’est pas exclusivement consacré au repos. Ce peut être un temps utilisé pour exercer une deuxième activité professionnelle. C’est aussi le temps de la vie familiale, sociale, amicale, de loisirs, sportive, associative, militante... Ces “vies” là sont, elles aussi, essentielles. » Pour la vie familiale, mais aussi pour la société, l’économie, et la démocratie. Car « sans les activités militantes, qui sont, elles aussi, des activités du temps libre, il n’est pas de démocratie ».
Reconnaître le droit au temps dans le code du travail, c’est, concrètement, faire que ce temps de vie hors travail « ne puisse pas être interrompu par des demandes d’interventions intempestives. Il convient que l’employeur ne puisse pas modifier unilatéralement et à sa guise les horaires de travail. » Ce choix de remplacer le terme de temps de repos par celui de temps libre exige donc de prévoir l’emploi du temps des salariés. Autre effet, important : il protège le dimanche chômé. Or, le droit au dimanche non travaillé est constamment remis en cause. La loi Macron avait étendu les dérogations au repos dominical pour le travail dans les zones touristiques.
Congé parental obligatoire et égalité salariale réelle (...)
Un congé paternité obligatoire de même durée que le congé maternité constituerait, selon eux, un outil simple de lutte contre les discriminations à l’embauche, en particulier aux postes de responsabilité. Et aurait aussi pour effet d’œuvrer en faveur d’un partage des tâches domestiques plus équilibré.
Lutter contre le chômage et pas contre les chômeurs (...)
le code du travail alternatif propose de mettre en place une représentation des demandeurs d’emplois dans les instances de Pôle emploi, via les organisations syndicales et les associations de chômeurs. Celles‐ci disposeraient d’une voix au conseil d’administration de Pôle emploi et d’une voix consultative dans les commissions qui décident du maintien ou non des droits des demandeurs d’emploi. Cette mesure s’accompagnerait d’une suppression de la sanction de radiation à l’encontre des chômeurs. Car « l’esprit des réformes est de rétablir le chômeur dans son statut d’assuré, qui réclame le versement d’un dû, lequel est la contrepartie des cotisations qu’il a versées. »
Sanctions dissuasives contre les licenciements injustifiés (...)
Droit de préemption, droit de grève étendu, droits fondamentaux
Autre mesure proposée qui remettrait les travailleurs au cœur de l’économie : introduire dans le code du travail un droit de préemption des salariés sur leur entreprise en cas de revente de celle-ci, comme cela existe pour les locataires en cas de vente de leur logement. (...)
Plus largement, le groupe de chercheurs insiste sur la nécessité d’intégrer les droits fondamentaux au code du travail. Ceci signifierait écrire noir sur blanc que tout travailleur est titulaire « du droit de grève, de la liberté syndicale, du droit à la négociation collective, du droit de participer à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises, du droit à l’emploi et à un travail décent, du droit à la santé et à la sécurité dans son travail, du droit à une rémunération équitable assurant un niveau de vie satisfaisant, du droit à la formation tout au long de la vie, du droit à une protection contre le licenciement injustifié, du droit au repos, aux loisirs et au temps libre, de la liberté d’expression, du droit au secret de ses correspondances, du droit à un procès équitable, du droit à l’égalité de traitement… » À moins de considérer les entreprises comme des « zones de non droit » ?