
Les quads ont remplacé les mules mais dans la forêt guyanaise les gangs d’orpailleurs clandestins brésiliens ont recréé la même société violente et implacable qui a accompagné, depuis le milieu du XIXe siècle, toutes les ruées vers l’or.
Ce système capitaliste chimiquement pur, caché au coeur d’une jungle qu’il ravage, a une seule monnaie : le gramme d’or, en poudre dans un morceau de papier plié ou symbolisé par un ticket valant un gramme, environ trente euros, le salaire quotidien moyen d’un garimpeiro. A force de mener des raids contre les sites illégaux, les Marsouins du 9e RIMa et les gendarmes qui les accompagnent connaissent bien cette société clandestine, qu’ils ont décrite à des journalistes de l’AFP au cours d’une patrouille de trois jours en forêt, dans la région d’Apatou.
Cinq grammes la passe
"Il y a d’abord le site de travail, là où ils creusent ou lavent la terre, avec ses générateurs et ses pompes" explique le capitaine Martin (conformément aux consignes, il ne révèle que son prénom, ndlr). "Là, alcool interdit. Ils s’abrutissent de drogue et de travail. Alors le samedi soir et le dimanche, ils vont au cabaret". Plus éloignés, certains campements sont de gros villages, avec ses saloons, ses ateliers, ses bijoutiers, ses églises bondées le dimanche. Les cabarets aux noms évocateurs ("Boceta Douro" : "A la chatte d’or", "Boa Foda", "A la bonne baise") ont au rez-de-chaussée des scènes avec barres de pole dance taillées dans du bois rouge, des boules à facettes, d’énormes sonos.
Au premier étage, les micro-chambres des prostituées. Cinq grammes la passe, dix pour les plus jolies. Pour attirer les garimpeiros et vider leurs poches, les tenanciers organisent spectacles et bingos. (...)
"Et tout en haut de la pyramide, il y a les commerçants chinois installés au Surinam" explique le capitaine Jean-Sébastien. "Ils sont richissimes, gagnent dans les deux sens : ils vendent tout le matériel d’un côté, rachètent l’or et le transfèrent sur des comptes au Surinam de l’autre. Ils font crédit aux garimpeiros et profitent de leur travail sans bouger de leur comptoir" (...)
Dans ce monde clos où la fièvre de l’or le dispute au paludisme ou au béribéri, les comptes se règlent au fusil à pompe, parfois à la kalachnikov. Le long des sentiers, la terre remuée marque les tombes fraîches, une bouteille de rhum renversée en guise de croix. "Ils ne font jamais appel à nous, à part en cas de blessure grave, en espérant une évacuation en hélico", dit un officier.