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Attac 33
Un grand merdier
Jean-Luc Gasnier
Article mis en ligne le 10 octobre 2014

Les drapeaux noirs de l’Etat islamique flottent sur des quartiers de Kobané et dans les villages kurdes des alentours, aux confins de la Syrie. La Turquie n’est pas loin, à portée de canon. Des chars turcs, massés de l’autre côté de la frontière, forment une ligne de dissuasion.

Le président turc Recep Erdogan parle désormais de la nécessité d’une intervention terrestre afin de stopper l’avance des djihadistes de l’Etat islamique mais il se garde bien de passer aux actes : rien ne presse, il faut certes combattre Daesh mais il ne faut surtout pas aider les kurdes qui restent un peuple ennemi, un redoutable ferment de déstabilisation intérieure qu’il convient d’affaiblir par tous les moyens. L’allié américain ne fait d’ailleurs plus de Kobané « un objectif stratégique ».
Au Proche-Orient, région aux frontières encore mouvantes et marquée par tant d’irrédentismes et de chapelles religieuses, le vieil adage selon lequel « les ennemis de mes ennemis sont mes amis » n’est pas toujours vérifié. La grande coalition internationale contre l’Etat islamique réunissant sous l’égide des Etats-Unis des nations européennes - dont la France en particulier - avec un certain nombre de pays arabes (Arabie Saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Qatar et Jordanie) dissimule en son sein des objectifs non avouables et des intérêts parfois divergents. Ce nouvel affrontement recouvre tant d’autres dissensions, tant de querelles intestines, tant d’intérêts divergents, tant d’autres guerres larvées, que l’armada constituée pour la circonstance se révèle particulièrement inefficace. Le bras armé occidental se fait tout petit et use chichement de sa puissance de frappe qui apparaît extraordinairement bridée. La technologie s’efface devant l’engagement fanatique : l’ armée islamique semble devoir progresser inexorablement ( même à découvert dans une région qui n’est pas montagneuse) et conquérir de nouveaux territoires, de nouvelles zones, pour soumettre à l’islam radical des populations sans cesse plus nombreuses.

La situation en Syrie et en Irak est désormais tellement inextricable que les occidentaux et leurs alliés hésitent à intervenir franchement, un peu comme le chirurgien devant un cancer généralisé.

De fait, c’est un bourbier, un merdier ; on ne veut surtout pas y toucher, y mettre les pieds, on le survole de haut, on le bombarde de temps en temps, on tente de le contenir mais on ne veut pas l’affronter de trop près. Les démiurges irresponsables contemplent lâchement le résultat de leurs impérities. Car ce grand désordre est bien le sous-produit infâme de la politique américaine et plus largement de la politique des puissances dominantes dans la région.

Un certain nombre de faits semblent clairement établis :

 Daesh est une des monstrueuses conséquences de la guerre américaine en Irak, menée par G Bush, qui a contribué à déstabiliser l’ensemble de la région et à accentuer les luttes de pouvoir entre fondamentalistes chiites et fondamentalistes sunnites

 Les fondamentalistes sunnites qui sont à l’origine de cet Etat islamique ont longtemps été soutenus par les monarchies du golfe, soutenues elles-mêmes par les USA ; elles ont enfanté un monstre et tentent maintenant de le combattre.

 Les armements aux mains des djihadistes qui circulent dans la région sont largement financés par les pétrodollars.

Pour nos responsables occidentaux, la guerre sera longue. . . d’autant plus longue qu’ils persistent à mener dans la région une politique désespérante et déstabilisatrice, à attiser les braises en soutenant de façon inconditionnelle l’état d’Israël et en refusant notamment de le sanctionner pour les crimes commis par Tsahal et son non-respect des résolutions de l’ONU.

La désespérance de la jeunesse de la région et l’absence d’horizon constituent le véritable creuset du fondamentalisme religieux.

Quand la Suède par la voix de son premier ministre annonce son intention de reconnaître l’état palestinien, la diplomatie américaine s’empresse de déclarer qu’il s’agit d’une décision prématurée. . .

Ainsi, sans perspective, confrontés à la misère et à la dévastation, sur les décombres de l’opération « Bordure protectrice » menée récemment par Tsahal, de jeunes palestiniens se tournent vers les cellules salafistes du territoire de Gaza. Une d’entre elles se serait ouvertement affiliée récemment à l’Etat islamique.
Oui, la guerre sera longue, mais ne s’agit-il pas finalement d’un objectif en soi ? Sans verser dans l’idéologie conspirationniste, force est de constater malgré tout qu’un état de guerre permanent sert « la stratégie du choc » (1) et « la montée d’un capitalisme de désastre ».