
Lorsque l’on évoque une mort accidentelle devant un tribunal correctionnel, l’émotion ne peut qu’être au centre des débats. De surcroît quand la famille de ce jeune homme de 19 ans assiste au procès.
Nous sommes à Ploëzal ce 26 juillet 2018, la période des moissons bat son plein. Vers 23 h une femme voit un début d’incendie dans un champ voisin, un roundballeur est en flammes à Kergadiou.
Le jeune salarié happé par le roundballeur
Les pompiers maîtriseront le brasier et les premières constatations seront terribles. Un bourrage de paille a dû provoquer un échauffement du mouvement rotatif et amorcer un début d’incendie. Seul malgré l’heure tardive sur cet énorme engin, un jeune salarié originaire de Pédernec a été happé en tentant de pousser avec ses pieds pour débloquer le bouchon. Son identification ne sera possible qu’à partir de ses empreintes dentaires.
Le jeune homme était apprenti au Lycée Pommerit jusqu’en juin. Ce drame avait bouleversé les élèves et l’ensemble de la communauté éducative.
Des horaires de travail « ahurissants »
Au-delà de la douleur des parents marqués à jamais, il faut déterminer la responsabilité de chacun. L’avocat de la partie civile met en cause le couple gérant de cette exploitation agricole de Pluzunet. Il dénonce des horaires de travail « ahurissants » et explique que la victime venait d’aligner 11 jours de travail consécutifs sans un seul jour de repos.
Le jour du drame, l’ancien apprenti de l’exploitation avait commencé sa journée à 9h30 et l’enquête prouvera qu’à 22 h 30, il était toujours sur son tracteur. La veille, le jeune employé avait aligné 10 heures non-stop.
L’inspection du travail attestera que la réglementation sur les risques liés aux maniements d’engins est inexistante et aucune préconisation en cas de danger n’est clairement affichée. (...)
Le voisinage et les anciens salariés évoquent un couple faisant « trimer » ses employés, ne se préoccupant pas le moins du monde des heures légales de travail ou du paiement des heures supplémentaires. « C’était à la bonne franquette ».
La famille, bouleversée à l’évocation des faits, acquiesce à chaque phrase de l’avocat. La cause paraît entendue, les deux prévenus ont bien la mort de ce jeune garçon sur la conscience. (...)
En conséquence et au vu du dossier tel qu’il est présenté, il requiert 50 000 € d’amende par personne morale soit 100 000 € ainsi que l’affichage public de l’infraction pendant deux mois.
Code rural contre code du travail
Reste que la défense va mettre un grain de sable dans le rouage d’une culpabilité annoncée. En effet, un point essentiel n’a pas été soulevé : les entreprises agricoles sont soumises au droit agricole qui relève du code rural et non au code du travail, les dérogations sont multiples en termes d’horaires, ainsi que les différentes périodes de travail. De fait, compte tenu des coupures et des pauses, l’employé était pile au maximum du quota horaire autorisé.
« Il était obligatoire de couper le contact »
« A 21h30, je l’ai appelé car le tracteur n’était pas rentré, je lui ai dit de s’arrêter car la nuit allait tomber, il m’a dit ok, et j’ai raccroché », explique le gérant.
Je précise qu’avant d’être employé de l’entreprise, il a fait ses trois années d’apprentissage chez moi, les règles de sécurité avaient été rabâchées des centaines de fois, il savait parfaitement qu’il était obligatoire de couper le contact pour intervenir sur un engin. Il a certainement voulu terminer la parcelle pour ne pas avoir à y revenir le lendemain.
Les intérêts financiers sont énormes, le tribunal doit prendre en considération l’ensemble des pièces justificatives avancées par les deux parties.
Le montant des préjudices moraux demandés par la partie civile est aussi très conséquent. Aussi, le tribunal ne prendra aucune décision hâtive et le jugement est mis en délibéré à la date du 7 avril.