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Un si long dimanche de présidentielle.
/ Alain Bertho anthropologue
Article mis en ligne le 17 avril 2022
dernière modification le 16 avril 2022

Je vais voter Macron avec rage. Je ne ferai aucune leçon de morale à celles et ceux qui ont trop de colère ou de désespoir pour le faire, parce que je peux les comprendre. L’esprit de boutique, et l’ivresse identitaire ont pris délibérément le risque de nous laisser choisir entre la peste et le choléra. Je ne leur pardonnerai pas.

Pouvons nous compter sur un sursaut électoral aux législatives ? Il y a aujourd’hui la potentialité d’une majorité politique pour Marine Le Pen, de Zemmour à Ciotti, des électeurs de Pécresse à une partie du Macronisme. Dans le passé, le fascisme a toujours su manipuler les réflexes de survie du personnel politique conservateur et construire, dans un premier temps, des majorités de coalition. Les conditions sont réunies pour le faire en France.

Pouvons-nous compter sérieusement sur une résistance du « quatrième pouvoir » quand on sait la puissance d’ores et déjà acquise en son sein par la finance autoritaire dont Bolloré est un des noms.

Pouvons-nous compter sur un sursaut politique de la gauche dans son ensemble pour faire front ? On peut l’espérer mais sans trop d’illusion. (...)

Quand une partie de cette gauche n’a pas tout simplement anticipé des appels au coup de force : l’appel des militaires du 21 avril 2021 a repris les termes mêmes du « manifeste des cent », véritable appel à l’inquisition universitaire, du 31 octobre2020.
Je vais devoir voter Macron et je ne vous le pardonnerai pas

Cette situation politique ne sort pas de rien. Elle est le fruit d’une expérience : celle de la continuité de casse sociale et d’État liberticide durant trois quinquennats successifs. (...)

Cette situation nous la connaissions avant le 10 avril. Ce jour-là, l’inéluctable est arrivé. Le duel souhaité par le pouvoir va avoir lieu. Mais n’était-il souhaité que par lui ? (...)

A l’évidence, celle qui est devenue l’administratrice judiciaire de la faillite socialiste, le communiste devenu le Valls passeur idéologique du PCF et le candidat d’un parti qui ressemble depuis des années à une agence de recrutement de ministres « ni gauche ni droite » attendaient ce résultat plus qu’ils ne le craignaient. Et le préparaient par des diatribes plus souvent dirigées contre Jean Luc Mélenchon que contre le danger d’extrême droite.

Leurs mines déconfites n’étaient pas dues à la crainte du second tour et au coût de leur stratégie pour le pays, mais au coût financier et politique de ce premier tour pour leurs formations respectives.

On comprend a posteriori pourquoi l’unité des gauches en amont n’était pas possible. Les trois partis avec lesquels cette unité était envisageable sont restés à distance du mouvement des gilets jaunes, ont émis réticences, voire condamnations, à l’encontre de la marche contre l’islamophobie, ont cultivé au mieux l’ambiguïté vis-à-vis de la loi séparatisme, ont participé à la manifestation du 19 mai 2021 appelée par Alliance.

Ces trois appareils englués dans les rivalités internes, ayant à gérer une implantation électorale et à assurer des réélections, ont été plus sensibles à l’air du temps qu’à l’air des luttes, plus formatés à l’agenda institutionnel qu’à l’inventivité des mobilisations.

Il ne s’agit donc pas là de « nuances » surmontables sur la définition de la laïcité, mais de désaccords profonds sur les combats des plus démunis et des plus stigmatisés, sur les libertés les plus fondamentales. Il s’agit de capitulations en rase campagne sur des terrains essentiels de la résistance à la fascisation en cours.

Pire, ces désertions ont été portées comme des drapeaux. (...)

Pour ces appareils, l’accession de Mélenchon au second tour était une perspective mortelle contre laquelle ils se sont, chacun à sa façon, arcboutés, privilégiant leur survie aux urgences politiques de l’heure, et leur propre avenir à celui du pays.
Je vais pouvoir voter Macron car une force de résistance s’esquisse

Je vais voter Macron non parce que ces pompiers pyromanes appellent à voter Macron à corps et à cris, mais parce qu’il y a eu la dynamique de l’Union populaire.

Rien ne le laissait présager il y a quelques mois. (...)

Celles et ceux (dont je suis) qui ont été confrontés de près aux travers de la France Insoumise ont d’abord regardé avec méfiance le lancement de l’Unité populaire. Force est de constater que cette ultime métamorphose a été une bonne surprise. Mélenchon saison 3 est apparu d’emblée comme un pôle de résistance salutaire sur trois points : la résistance à l’État policier, la résistance au racisme et surtout à l’islamophobie (deux points essentiels du processus de fascisation) et la construction d’un projet authentiquement social et écologique aussi radical que crédible.

Cette clarté politique s’est construite sur deux ans : participation à la marche contre l’islamophobie le 10 novembre 2019, refus de la loi « séparatisme » par le seul vote négatif unanime de groupe à l’Assemblée nationale en février 2021, refus de participer à la manifestation de policier initiée par Alliance le 19 mai 2021…

Par ailleurs, le casse-tête du lien entre les luttes et la politique, serpent de mer des réflexions militantes depuis des décennies, a trouvé une esquisse temporaire de résolution : le « parlement de l’Union populaire », constellation de militantes et militants, d’artistes, d’intellectuels engagés dans les luttes les plus diverses et les plus contemporaines. (...)

Premier vote de la jeunesse, raz de marée dans les colonies et les villes populaires, remontée visible de la participation dans des quartiers qu’on attendaient pas : cette nouvelle consistance de la subjectivité politique, cette nouvelle résonance d’enjeux institutionnels chez des femmes et des hommes maltraité.e.s par les gouvernements successifs est sans doute l’événement du 10 avril.

Cette fermeté des principes et cette inclusivité ont à coup sûr assuré son succès et la diversité des soutiens qui se sont accumulés jusqu’à la dernière minute : de Ségolène royal à Houria Bouteldja, de Cyril Dion aux réseaux de militants historiques des quartiers populaires, des universitaires à Priscilla Ludosky, une des initiatrices du mouvement des Gilets jaunes, de Caroline de Hass au rappeur Médine.

Un pôle de résistance politique est possible comme le quinquennat qui s’achève n’en a pas connu. Il porte le contre récit qui nous a tant manqué : à la fois radical, rassemblé, clair et crédible dans ses perspectives.
Un long dimanche d’avril

Il sera long ce dimanche 24 avril. Les heures vont s’égrainer dans l’angoisse d’un résultat qui n’ouvrira comme perspective que la résistance.

D’ici là, pouvons-nous au moins nous atteler à dissuader celles et ceux qui seraient tentés de faire barrage… à Macron.

D’ici là, pouvons-nous au moins rappeler que le fascisme est souvent un voyage sans billet de retour pacifique. (...)

Nous saurons bientôt si les fameux « jours heureux » auront le goût du sang et des larmes. (...)

Quant à vous, les donneurs de leçon de l’antifascisme de salon, vous qui avez dénoncé les Gilets jaunes, fustigé le « communautarisme » des opprimés, insulté les femmes voilées, condamné des réunions non mixtes, laissé passer la loi séparatisme, sous-estimé la violence de l’État macroniste, manifesté avec la police, votez et surtout taisez-vous !

C’est la seule chose utile qu’il vous reste à faire.