
L’Âge soviétique – Une traversée de l’Empire russe au monde postsoviétique n’intéressera pas seulement les spécialistes de l’URSS, mais aussi tous ceux qui ont été ou sont encore touchés par les divers conflits géopolitiques qui se sont déclarés depuis la fin de l’URSS, et plus largement encore tous ceux qui ont le souci de l’avenir des sociétés dont nous sommes les acteurs.
Un avenir dont l’on comprendra mieux ce qu’il peut être, et que l’on contribuera à forger avec plus de lucidité, si l’on se tourne vers un passé certes situé au-delà de cette ligne de partage majeure que constitue la chute de l’Empire soviétique, mais qui n’est pas si lointain malgré tout.
Les continuités qui se font jour entre l’Empire russe et l’URSS comme entre l’URSS et le monde d’aujourd’hui constituent précisément l’objet d’étude central de cet ouvrage, dont l’hypothèse matricielle peut être résumée ainsi : l’« âge soviétique » aurait commencé à s’ouvrir avant 1917 et ne serait toujours pas refermé. (...)
le centre et la périphérie, les Russes et les non-Russes n’ayant pas du tout reçu le même héritage de l’URSS, toutes les anciennes républiques soviétiques n’éprouvent pas le même sentiment de nostalgie. L’ouvrage montre comment ces « nations » au statut problématique ont souvent manqué d’enthousiasme dans leur adhésion au projet soviétique, et comment des rébellions durables (et parfois toujours vivantes) ont fait suite au passage d’un Empire à un autre.
Il ne faudrait pas penser, cependant, qu’il existe une véritable communauté de résistance qui unirait toutes les périphéries de l’Union soviétique. L’autoritarisme n’est pas rejeté partout de la même façon, l’indépendance, la liberté et l’émancipation sont des monnaies qui n’ont pas cours dans tous les pays, les leçons du passé ne sont pas toujours entendues de la même oreille, et l’influence européenne se fait davantage sentir dans les marges occidentales de l’ex-URSS. (...)
Régenter le dicible, le lisible et le visible
L’ouvrage, très bien documenté, est divisé en neuf chapitres qui touchent des questions historiques, sociales, culturelles et quotidiennes savamment problématisées. Dès les premières pages, les auteurs montrent comment la façon dont les bolcheviks ont d’emblée pratiqué l’art du pouvoir, jointe à l’échec de la « révolution mondiale », annonçait un siècle de secrets, de silences, de punitions, de surveillance et de contrôle d’une population encore largement illettrée.
À cela s’ajoute la « nouvelle politique économique », qui attira toute une génération d’utopistes étrangers, mais qui ne fit qu’aggraver les inégalités sociales, en faisant de ceux qui n’avaient pas voulu, su ou pu suivre le mouvement des ennemis. (...)
l’alternative que les auteurs proposent au moment de conclure –« Résister ou s’accommoder de l’ordre autoritaire »– reste plus que jamais d’actualité, en particulier pour ceux qui exercent le métier d’historien dans ce vaste monde de l’est de l’Europe, qui n’est toujours pas sorti de l’âge soviétique.