
Une éolienne en kit à moins de vingt euros, une douche qui recycle l’eau en boucle, un tracteur à pédales, un filtre antibactérien qui rend l’eau potable… Le point commun entre ces projets sociaux et écologiques ? L’open source.
Des outils sans brevets, donc librement diffusables et appropriables par tous, à moindre coûts. Dans les Yvelines, des jeunes ont passé cinq semaines à développer des projets innovants, qui pourraient révolutionner nos manières de travailler, produire ou consommer. Rencontre avec ces makers qui veulent changer le monde. (...)
Ces objets – douze au total – ont été développés pendant cinq semaines au château de Millemont, dans les Yvelines [1]. Un cadre atypique pour accueillir un immense FabLab – espace partagé de fabrication – répondant au nom de POC21. POC21, c’est à la fois l’acronyme de « proof of concept » (preuve de faisabilité) et un clin d’œil à la COP21, la conférence internationale sur le climat qui aura lieu fin novembre, à Paris. « Face à l’épuisement des ressources, à la perte de biodiversité, nous avons besoin de solutions concrètes, écologiques et sociales qui sont complémentaires aux négociations [climatiques] en cours », explique Daniel Kruse, un des organisateurs de l’événement, cofondateur de Open State, collectif allemand de designers et de créateurs.
La fin de l’obsolescence programmée ?
Son acolyte, Benjamin Tincq, de l’association OuiShare, dédiée à l’émergence d’une société collaborative, insiste sur l’intérêt de « la fabrication décentralisée ». « Fabriquer localement des objets qui soient adaptés à des besoins spécifiques, pouvant être réparés ou améliorés par la communauté, peut mettre fin à l’obsolescence programmée ! Nous voulons montrer que d’autres modes de production et de consommation sont possibles ». Et à moindre coût (...)
La sobriété est la règle pour ces makers, y compris sur le camp mis en place pendant cinq semaines. Parmi les lignes directrices, le zéro déchet. Face à l’immense bâtisse du château ont été installées des toilettes sèches, des douches solaires et un tas de compost. La grande majorité des participants ont dormi sous des tentes. Partout, de grands panneaux affichent les règles de vie en communauté. L’esprit participatif est revendiqué jusque dans le fonctionnement du lieu où toutes les tâches quotidiennes – courses, cuisine végan, ménage, etc. – ont été partagées. (...)
le collectif Farming Soul et son projet de « Bicitractor », un tracteur à pédales conçu pour les petites et moyennes exploitations. Le collectif est parti du constat que de plus en plus de maraîchers, soucieux de ne plus recourir aux intrants chimiques, passent énormément de temps à désherber manuellement. Avec l’appui d’agriculteurs, Farming Soul a créé une machine qui permet de travailler le sol jusqu’à cinq ou dix centimètres de profondeur. Pas question de labourer mais plutôt de désherber, biner, sarcler, semer, voire récolter. « En un passage [mécanique], on désherbe quatre à cinq fois plus vite qu’à la main », explique Jean-Pierre, membre du collectif, qui a testé le bicitractor, la veille, sur des terres argileuses sous serre (voir la vidéo en fin d’article). « On travaille sur un système d’assistance électrique pour multiplier les forces. » (...)
La coopération est une des valeurs fondatrices de l’open source. Chacun des modèles, dont les plans sont mis à la disposition de tous, peut être constamment amélioré par la communauté. (...)
Loin de se sentir concurrencées par la diffusion d’outils « libres », certaines multinationales parient déjà sur l’open source pour développer leur business. C’est notamment le cas de Castorama, détenue par le groupe britannique Kingfisher, spécialisé dans le bricolage. L’enseigne, friande du travail le dimanche (lire notre enquête), soutient POC21 en fournissant du matériel [3]. Une manière de reverdir son image ? Pas seulement. Comme l’explique le magazine Numerama, « les grandes surface de bricolage, comme Castorama, ont tout à gagner à faciliter le “do-it-yourself (DIY)” et tout ce qui permet aux clients de bricoler par eux-mêmes à partir des outils et matériaux achetés chez elles ». Tristan Copley Smith, qui a développé du mobilier en open source pour faciliter l’agriculture urbaine, projette d’ailleurs avec son équipe de commercialiser leur prototype via Castorama [4]. « Il reste à déterminer si Castorama accepte le principe de l’open source, auquel nous ne voulons pas renoncer, précise-t-il. Notre mission est de rendre l’open source “mainstream” ! »
Faut-il y voir là un risque de captation d’un bien commun par des intérêts privés ? La logique marchande peut-elle l’emporter sur le sens du partage ? « Comme pour le bio ou les énergies renouvelables, il y a un risque de dérive de l’open source, redoute le collectif Farming Soul. Selon la manière dont il est appliqué, il peut devenir un nouveau capitalisme. Il faut passer par d’autres canaux que la grande distribution pour la diffusion : les associations, les Amaps, le bouche-à-oreille, etc. ». Mauricio Cordova envisage par exemple de lancer une campagne de financement participatif autour de son filtre à eau pour lancer la fabrication. « C’est un projet social, la philosophie doit être différente du commerce », plaide-t-il. « Je veux que ce soit le moins cher possible pour les gens. Je ne compte pas gagner ma vie en vendant ces filtres, mais plutôt en enseignant ou en participant à des événements. »
Collaborer en marge du système
Pour favoriser une distribution alternative aux chaînes de magasins traditionnels, les outils libres développés donnent lieu à des collaborations insoupçonnées. L’association française Open Source Ecology développe par exemple Solar-OSE, un concentrateur solaire thermique à destination des micro-industries ou des artisans. (...)