
Connu pour son tag « L’amour court les rues », l’artiste parisien Wilfrid A. aurait imposé des violences sexuelles à de nombreuses jeunes femmes depuis au moins dix ans. Notre enquête. (...)
Le récit de Faleska n’est pas isolé. Il fait écho à plusieurs autres témoignages frappants de similitude, qui visent tous un même homme : le photographe et street artiste parisien Wilfrid A. Son fait d’armes photographique principal : il a réalisé la photo de la pochette de l’album Authentik du groupe NTM en 1991. Il écume les Fashion weeks, et publie sur son fanzine Fais Netour des portraits d’anonymes et de quelques personnalités.
Une figure familière de Montmartre
Plus récemment, ce quinquagénaire a acquis une petite hype avec “L’amour court les rues”, un tag multi photographié et instagrammé qui orne passages piétons, murs ou encombrants de la rive droite de la capitale. Souvent coiffé d’une casquette, Wilfrid est l’une des figures familières de Montmartre et les riverains le croisent à ses bars de prédilection ou en train de taguer sa phrase emblématique, elle aussi devenue un élément du décor d’Amélie Poulain. “L’amour court les rues” a notamment recueilli de l’attention médiatique après les attentats du 13 novembre 2015 ; la formule est alors vue comme un hymne à la bienveillance et à la résilience parisienne. (...)
Sauf que derrière la douceur sucrée du graffiti, les nombreux témoignages dessinent un portrait qui semble plus sinistre. C’est avec l’aide de ses deux casquettes, celle du street artist et celle du photographe, que Wilfrid A. se livrerait à une traque inlassable, qu’on pourrait qualifier de frénétique, aux très jeunes femmes, et ce depuis au moins une décennie.
16 femmes ont témoigné auprès de NEON avoir été abordées par lui. J’en ai rencontré certaines, ai échangé par téléphone ou par messages avec d’autres. Les faits dépeints les plus anciens remontent à 2009, les plus récents à février 2020 ; certaines auraient été sollicitées dans la rue, d’autres sur Instagram ou Messenger. Points communs de toutes celles qui se sont confiées : leur beauté, indéniable selon les critères classiquement admis dans notre société, leur jeunesse au moment des faits allégués (l’une était mineure). Huit d’entre elles racontent s’être retrouvées en tête-à-tête avec lui, et dépeignent une expérience a minima déplaisante, au pire traumatisante. (...)
Aucune des jeunes femmes qui ont témoigné n’a porté plainte à ce jour ; seule Faleska l’envisageait. “Porter plainte ? Ca m’a même pas traversé l’esprit que c’était pas normal ce qui venait de se passer, lance Mathilde. Quand t’es jeune, t’es un bébé, t’es pas préparée. Maintenant on est plus au courant.” La réception des victimes de violences sexistes en commissariat, régulièrement pointée du doigt pour ses insuffisances par des témoignages, des militantes associatives et des enquêtes journalistiques, n’incite pas les jeunes femmes à pousser cette porte.
Mey n’a pas aimé sa confrontation avec les forces de l’ordre à l’occasion d’un dépôt de plainte pour violences intrafamiliales. “J’ai eu affaire à une commissaire ou une gendarme qui a mis en cause toute ma parole. J’ai vraiment pas confiance.” Dans une société imprégnée de culture du viol, qui tend à reprocher leur attitude aux victimes de violences sexuelles, quel accueil peut anticiper une modèle qui pose nue ? Diane balaie : “J’ai entendu pas mal de témoignages et ça m’a dissuadée. Je sais que la police ne fait rien pour nous.”
Elles ont gardé pour elles leur histoire, comme tant d’autres ; en France, on estime à 220 000 le nombre annuel de victimes de viol, de tentatives de viol ou d’attouchements sexuels. Un chiffre sous-estimé ; de nombreux cas ne sont jamais racontés. Pourquoi aujourd’hui, décident-elles de s’exprimer ? Tout simplement, elles ont découvert qu’elles n’étaient pas seules. Une ou plusieurs personnes anonymes a/ont pris l’habitude, depuis quelques années, de recouvrir son tag pour le remplacer par “un violeur court les rues”. (...)