
Rencontre avec des chanteuses de la chorale féministe des Rangs-Versets à Nantes. Elles s’inscrivent dans le foisonnement des mobilisations de ces dernières années. Occuper l’espace public avec un répertoire qui défie le patriarcat et prône la sororité.
Il est vingt heures passées. Les membres des Rangs-Versets, chorale féministe nantaise, se rejoignent pour leur répétition hebdomadaire. Cette fois-ci, elle a lieu sur un ponton des bords de Loire, dans un cadre paisible entouré de verdure. Tout le monde se met en cercle, les échanges de regards sont complices.
La chorale, qui existe depuis un peu plus de deux ans, fonctionne en autogestion et en mixité choisie (c’est-à-dire sans homme cisgenre), comme l’explique Eli, 27 ans, qui a participé à sa création : « Pour moi, il était important de ne pas retrouver de mécanismes de domination ni d’oppression dans cet espace. Qu’on y vienne sans avoir peur de se faire couper la parole ni qu’une seule personne prenne les décisions. » Ici, il n’y a pas non plus de cheffe de chœur.
Clémence a rejoint la chorale il y a huit mois. Elle était alors en quête de collectif et d’un engagement militant joyeux. Elle se retrouve tout à fait dans cette organisation : « L’autogestion permet aux personnes qui d’habitude n’osent pas, de prendre de la place et de prendre confiance en leur capacité de diriger. » Par ailleurs, « se retrouver sans homme cisgenre, ça permet de chanter des chants qui nous concernent », ajoute Eli. (...)
La tradition française du chant choral politique, riche et ancienne, vivrait-elle un nouveau chapitre ? Les féministes se réapproprient cette manière de militer, héritières des chants de révoltes qui ont ponctué nos siècles derniers.
Elles se rendent en manifestation, à l’occasion des journées mondiales du 8 mars (journée internationale des droits des femmes) et du 25 novembre (journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes), ou encore, plus récemment, lors des mobilisations contre la réforme des retraites. (...)
Proposant une alternative à la sono du camion de la CGT et aux slogans étouffés dans les mégaphones, les chorales féministes prouvent que le chant peut être un instrument au service des mouvements sociaux. (...)
Le groupe, qui a dépassé la vingtaine de membres, se veut accueillant et bienveillant. « L’éloge de la fausse note, c’est nous ! », ironise Eli dans un éclat de rire. Sa façon à elle de dire que la chorale n’est pas seulement ouverte aux personnes qui savent déjà chanter. (...)
Désormais, on compte des dizaines de chorales féministes à travers l’Hexagone et leurs rangs ne cessent de grossir. À tel point qu’elles se retrouvent, depuis peu, plusieurs fois dans l’année à l’occasion de « Ronronnades ». Le temps d’un week-end, ces rencontres inter-chorales deviennent des lieux de partage, de discussions militantes, mais avant tout de transmission de chants. (...)
Les images des batucadas et des chants féministes scandés en manifestation, comme l’incontournable Un violador en tu camino (« un violeur sur ton chemin ») du collectif Las Tesis, ont inspiré les féministes du monde entier.
Le répertoire des Rangs-Versets est vaste mais répond toujours à un principe : « Être en accord avec nos thématiques principales qui sont l’antipatriarcat et l’antiracisme » (...)
« Toutes les chansons doivent faire consensus auprès des personnes qui chantent. S’il y a une personne qui n’est pas d’accord, soit on réécrit le texte, soit on ne la chante pas. » Les réécritures sont d’ailleurs nombreuses. (...)