Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Une étudiante chinoise espionnait des laboratoires français
Article mis en ligne le 15 février 2022

Entre avril 2018 et septembre 2021, une thésarde a passé plusieurs nuits dans des laboratoires sensibles à Metz et Strasbourg, permettant à un de ses compatriotes d’y pénétrer. La DGSI s’inquiète des nombreuses vulnérabilités des établissements de recherche français.

Thésarde consciencieuse et appliquée, Xuan Wu est une jeune femme étourdie. À plusieurs reprises, cette ressortissante chinoise s’est laissé enfermer la nuit dans les laboratoires où elle mène ses travaux sur les systèmes cyberphysiques. (...)

D’abord dans le laboratoire de conception fabrication commande (LCFC) du campus messin des Arts et Métiers. Repérée par des membres de l’établissement et rappelée à l’ordre, la jeune femme se discipline et ne s’endort plus sur le site de Metz.

Mais, quelques semaines plus tard, elle réitère, cette fois dans le laboratoire de recherche ICube de l’Insa Strasbourg. Xuan Wu y reste enfermée tout le week-end. Sans doute pour ne pas trop souffrir de la solitude, elle ouvre à plusieurs reprises les portes à un compatriote, qui n’a rien à y faire. Ce qui n’empêche pas ce dernier, selon la DGSI, qui va s’intéresser à ces intrusions, d’utiliser certains matériels du laboratoire.

Xuan Wu est une jeune femme distraite mais aussi discrète. Sur Internet, sa présence reste superficielle. (...)

« J’ai rencontré Xuan Wu fin 2018, à la mairie de Metz, lors des ‘‘échanges gourmands’’, organisé par le Crous, se souvient un de ses amis. Le principe est de recevoir une étudiante étrangère à sa table puis l’accueillir chez soi. Je me souviens d’une étudiante plutôt discrète, qui ne parlait pas français et était venue accompagnée d’une compatriote étudiante en LEA pour faire la traduction. Je me souviens qu’elle avait la manie de toujours tout prendre en photos. »

Elle a rejoint la France en avril 2018 grâce à une bourse délivrée par la China Scolarship Council, un organisme du ministère de l’éducation chinois. Dès son arrivée, son comportement interpelle le personnel du campus messin des Arts et Métiers où elle effectue sa thèse en cotutelle avec l’Insa Strasbourg. En cause : une fâcheuse habitude de se connecter sur les ordinateurs du laboratoire avec les identifiants des autres doctorants et doctorantes. (...)

Une pratique indélicate et surtout contraire à la charte informatique. Le corps enseignant lui rappelle, à plusieurs reprises, les règles de l’école. Mais ces avertissements n’ont pas l’effet escompté. La doctorante chinoise argue de son incompréhension du français.

Les directions des laboratoires du Grand Est n’ont sans doute pas le précédent en tête, mais la ligne de défense de Xuan Wu rappelle celle utilisée par une autre étudiante chinoise, Huang Lili.

En cours à l’université de technologie de Compiègne, Lili, jeune femme âgée de 22 ans, avait décroché en 2005 un stage à la direction Recherche & développement de l’équipementier automobile Valeo. Elle y est interpellée et incarcérée car elle a copié une quarantaine de fichiers sans rapport avec son stage. Face au tribunal qui la condamnera à un an de prison, dont dix mois avec sursis, pour abus de confiance, Huang Lili s’excusera de n’avoir pas prêté attention à l’engagement de confidentialité présenté au début de son stage : « Je l’ai lu vite sans faire attention. » Elle avait également ignoré les mises en garde du personnel de Valeo qui la voyait toujours avec son portable équipé d’un disque dur de 40 gigas.

À dix-sept ans d’intervalle, l’histoire se répète (...)

Un expert de ces questions au niveau européen se montre plus inquiet. « Rien qu’en se connectant sur les ordinateurs des écoles, elle peut comprendre les dynamiques des projets de recherche que l’Union européenne finance avec l’école : qui collabore avec qui, sur quels sujets. »

La thèse de Xuan Wu porte sur les systèmes cyberphysiques, des technologies dopées à l’intelligence artificielle qui permettent aux véhicules autonomes de se repérer dans l’espace, aussi bien que d’automatiser, analyser et ajuster en direct le rendement d’une ligne de production. Si, aux États-Unis, les recherches sur ces systèmes portent principalement sur le secteur militaire, elles entrouvrent les portes d’une « industrie 4.0 », où les machines sont surveillées et contrôlées en temps réel.

Des procédés au cœur des recherches du LCFC des Arts et Métiers, qui « fait preuve d’un rayonnement exceptionnel dans les paysages de la recherche aux niveaux régional et national », selon le compte-rendu de sa dernière évaluation par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Stratégiques pour la France, ces recherches le sont tout autant pour la Chine. Élaboré en 2015 par le premier ministre Li Keqiang, le programme « Made in China 2025 » vise à faire basculer le secteur industriel du pays vers cette industrie 4.0.

Et justement, avant d’arriver en France, Xuan Wu a obtenu un master en ingénierie des systèmes industriels et de fabrication dans la Beihang University, une université pékinoise spécialisée dans l’aérospatiale et l’aéronautique, avec laquelle les Arts et Métiers entretiennent un partenariat depuis 1987.

Une école sur laquelle le renseignement français garde un œil attentif. (...)

La DGSI pointe le risque des « partenariats déséquilibrés » entre universités (...)

Malgré ces doutes, l’université de Beihang entretient des partenariats avec d’autres écoles françaises, notamment ISAE-Supaero et l’Estaca, et abrite depuis 2005 le campus de l’École centrale Pékin.

Un haut cadre du renseignement français, qui nous a décrit l’affaire Xuan Wu comme un exemple « assez agressif » d’espionnage, tire la sonnette d’alarme : « Là, nous avons eu de la chance que les laboratoires aient le bon réflexe et alertent la DGSI. Mais de nombreuses écoles se financent avec des fonds chinois. En contrepartie, elles accueillent des chercheurs de ce pays et quand elles surprennent ces étudiants, elles n’osent pas les dénoncer de peur que les investisseurs chinois ne coupent la manne d’argent. »

Dans un document de la DGSI datant d’octobre 2021, que Mediapart a consulté, le contre-espionnage français recense différents cas de vulnérabilité dans des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Le « comportement particulièrement intrusif » de Xuan Wu figure en tête de liste. (...)

La Chine, nouveau « rival stratégique »

Publié en 2021, le rapport de la mission d’information sénatoriale sur les influences extra-étatiques dans le monde universitaire appelle à la vigilance les universités, face à des offres financières parfois alléchantes du China Scolarship Council à des laboratoires français souvent en manque de financements. (...)

Pendant longtemps, la Chine a été perçue comme se limitant à un soft power, un lobbying d’influence. La prise de conscience, du moins officielle, de l’agressivité des services secrets chinois, notamment le redoutable Guoanbu, le ministère de la sécurité d’État (MSE), peut être datée en France. (...)

Dans leur rapport de référence, Les Opérations d’influence chinoises. Un moment machiavélien, les chercheurs de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem) Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer se sont amusés à recenser le nombre de fois où le ministère des armées évoque le cas de la République populaire chinoise dans l’édition 2021 d’Actualisation stratégique 2021, un document qui met à jour l’analyse de l’environnement stratégique de la France. La Chine y est présentée comme un « rival stratégique » et est mentionnée, pour la première fois, plus souvent que la Russie de Vladimir Poutine.