
“La Grèce doit suspendre le paiement de la dette” selon Eric Toussaint, coordinateur scientifique du comité d’audit de la dette grecque.
“Si la Grèce avait adopté une position plus dure dans les négociations elle aurait obligé les créditeurs à chercher un accord”
« Dans 6 mois, 8 mois ou un an le problème de la dette reviendra comme une question liée à l’échec néolibéral. »
(...) La Grèce parle maintenant pour la première fois de réduire la dette et se trouve pratiquement en suspension technique de paiement. La question ici est de savoir si les autorités grecques vont aller dans ce sens.
Que signifie une suspension ? Annuler temporairement les paiements aux créanciers ?
Ne pas payer. Point. Dans le cas grec c’est très simple : le règlement européen de mai 2013 impose aux Etats membres de réaliser un audit de la dette si elle est insoutenable et contient des irrégularités. Les autorités grecques devraient dire en s’appuyant sur l’audit : nous avons vidé nos coffres pour assurer les échéances de plus de 7 milliards d’euros avant le 30 juin passé, vous les créditeurs vous n’avez pas tenu la promesse de débourser cette somme, notre bonne foi et bonne volonté sont terminées, nous suspendons le paiement de la dette.
Et cela ne supposerait pas un grexit ?
Pourquoi, quel est le rapport ?
La BCE aurait probablement rejeté non seulement l’extension ou l’élaboration d’un nouveau plan de sauvetage, mais aurait aussi coupé dans les liquidités d’urgence (ELA) qui maintiennent les banques grecques à flot.
Vous croyez que ce qui s’est passé ces cinq derniers mois ne sont pas des menaces suffisantes et des chantages ? Ils ont attaqué avec tout ce qu’ils avaient : ils n’ont pas fait la moindre concession, ils ont exigé un remboursement de la dette et ils l’ont obtenu, ils ont proposé toujours plus de sacrifices que le gouvernement grec a fini par accepter,… Qu’est-ce qu’il aurait pu se passer de plus ? La meilleure stratégie aurait été une suspension des paiements de la dette.
Et vous ne croyez pas que cette décision aurait supposé l’abandon immédiat de l’euro ?
C’est absolument réducteur d’affirmer qu’un pays reste dans la zone euro et paie sa dette en échange de sacrifices ou un pays arrête de payer et est sorti de l’eurozone. Il n’y a pas de relation mécanique entre ces deux situations.
Tout indique que la Grèce accepte les réformes des créanciers en échange d’une mention sur la restructuration de la dette qui doit encore être éclaircie. Ca vous semble un bon accord ?
Non. Je crois qu’une restructuration conditionnée par des mesures néolibérales représente un mauvais accord. Il faut réduire la dette et abandonner les politiques néolibérales. C’est le programme de Syriza. C’est pour ça qu’ils ont été élus. Et le peuple grec vient de dire le 5 juilet 2015 qu’il n’acceptait pas les exigences des créanciers. Mais aussi on sait que les Grecs sont favorables à rester dans l’UE et dans l’euro. Dans ce sens il me semble réducteur de dire que la réduction de la dette et l’arrêt des politiques d’austérité déclencherait le Grexit. La Grèce devrait décider un contrôle véritable de ses banques, alors qu’elle est déjà l’actionnaire principale de quatre banques grecques qui représentent 85% du marché bancaire national. La Grèce pourrait créer une monnaie complémentaire en euros non imprimés, sous forme électronique. Ainsi, elle pourrait permettre les paiements en euros à l’intérieur du pays : pensions, salaires des fonctionnaires, aide humanitaire, … tout cela en monnaie électronique. Et les gens avec cette même monnaie pourraient payer les impôts, la nourriture, les médicaments, etc. Il y a différentes propositions concrètes qui circulent dans ce sens. La question est de savoir si le gouvernement le fera ou pas. (...)
L’objectif de la Commission, d’Angela Merkel, de Mario Draghi et de Christine Lagarde est de faire croire qu’ils étaient disposés à négocier en échange des concessions sous la forme de réformes du côté grec. Et à la fin ils finissent par dire : nous voulons plus. La stratégie des créanciers, il faut le reconnaître, a été profitable dans le sens littéral du terme, puisque la Grèce a payé une grande partie de ses obligations sans aucune contrepartie. Ce que les autorités européennes n’ont pas obtenu c’est de soumettre le peuple grec et que celui-ci perde confiance en Syriza. Dans ce dernier point, les institutions ont échoué. Mais au niveau politique européen et avec un énorme appui médiatique, les institutions font croire aux gens que les Grecs sont intransigeants. Alors que c’est les créanciers qui sont intransigeants.
Il semble que Tsipras ne va pas suivre votre conseil et annuler la dette comme le propose l’audit parlementaire, mais au moins il pourrait arracher une mention sur la restructuration.
Non, je le répète, ça ne sera pas un bon accord. Si il y a une restructuration de la dette ça ne sera pas suffisant. Les mesures d’austérité seront poursuivies et il n’y aura pas de croissance économique en Grèce, comme ça s’est produit en 2012 (quand il y a eu une annulation partielle de la dette grecque). Dans 6 mois, 8 mois ou un an, le problème de la dette reviendra comme une question liée à l’échec néolibéral.
Qu’est-ce que vous pensez du changement de Varoufakis pour Tsakalotos au ministère des finances ?
C’est très simple. Tsipras ne veut pas donner d’arguments à la Troika pour dire qu’ils sont intransigeants. Ce n’est pas un désaveu mais un geste compréhensible.