
A l’occasion de l’anniversaire de l’invasion impérialiste de l’Ukraine par la Russie, la gauche ukrainienne s’affronte à un double défi : résister aux attaques militaires russes tout en luttant contre l’imposition du néolibéralisme et de l’austérité par leur propre gouvernement. Pendant ce temps, la gauche mondiale reste profondément divisée dans son appréhension de la guerre et dans sa relation avec les appels à la solidarité internationale les composantes de la gauche ukrainienne.A l’occasion de l’anniversaire de l’invasion impérialiste de l’Ukraine par la Russie, la gauche ukrainienne s’affronte à un double défi : résister aux attaques militaires russes tout en luttant contre l’imposition du néolibéralisme et de l’austérité par leur propre gouvernement. Pendant ce temps, la gauche mondiale reste profondément divisée dans son appréhension de la guerre et dans sa relation avec les appels à la solidarité internationale les composantes de la gauche ukrainienne.
Alona Liasheva est sociologue, chercheuse en économie politique urbaine. Elle travaille au Centre de recherche pour les études est-européennes de l’Université de Brême. (...)
Ashley Smith s’entretient avec Alona Liasheva sur la nature de la guerre, sur les conditions auxquelles est confrontée la majorité de la classe laborieuse de son pays, sur la résistance populaire et militaire ainsi que de la stratégie de la gauche ukrainienne en temps de guerre et pour la reconstruction (...)
autant les discours de Poutine que les actions de son armée démontrent que la Russie ne reconnaît pas l’Ukraine comme une nation indépendante, et encore moins comme un interlocuteur pour des négociations. Il n’est certainement pas intéressé par une paix juste. Avec son régime qui vise à notre éradication nationale, nous n’avons pas d’autre choix que de nous défendre. Malheureusement, c’est aussi simple que ça. La plupart des gens le comprennent en Ukraine. Dans des enquêtes sociologiques, j’ai demandé aux gens ce qu’ils pensaient d’un cessez-le-feu et de négociations. Presque sans exception, ils disent qu’on ne peut pas faire confiance à la Russie pour une quelconque négociation.
C’est particulièrement vrai pour les personnes qui ont vécu dans les zones occupées de l’Ukraine. (...)
Je sais que la gauche a tendance à chercher un funeste complot des Etats-Unis derrière tout. Bien sûr, je pense qu’il est important d’analyser chaque conflit pour en comprendre les acteurs, la dynamique et les responsables. Dans le cas de l’Ukraine, c’est beaucoup plus simple que ce que pensent beaucoup de gens à gauche. L’Ukraine a été attaquée par une armée impérialiste et, par conséquent, nous sommes dans une lutte pour défendre nos vies et notre droit même d’exister en tant que nation souveraine. (...)
A la suite de toute cette fermentation de la société civile, beaucoup, et pas seulement la gauche et les groupes féministes, ont émis des critiques sur la façon dont le gouvernement mène la guerre et sur ses politiques sociales et de classe. Bien sûr, une majorité soutient Zelensky en tant que chef du gouvernement et de la résistance militaire, mais pas sans critique.
Dans ce contexte, la gauche peut à la fois se tenir du même côté que Zelensky pour ce qui a trait à la résistance et s’opposer à ses lois néolibérales réactionnaires et à ses attaques contre les droits syndicaux. Nous gagnons une audience plus importante grâce à cette approche. (...)
L’un de nos principaux outils est la pétition. Si une proposition de loi obtient 25 000 signatures sur des pétitions, elle doit être portée à l’attention du président. Par exemple, nous avons aidé à lancer une pétition pour une loi légalisant le mariage homosexuel. Elle a rapidement obtenu 25 000 signatures, obligeant Zelensky à déclarer publiquement qu’il était d’accord avec la proposition. Le gouvernement ne l’a pas encore adoptée, mais nous avons contribué à susciter un débat public sur le mariage homosexuel.
C’est grâce à de telles campagnes que le gouvernement a été contraint de s’attaquer à la corruption. (...)
Il y aura une énorme lutte sur les termes de la reconstruction, tout comme il y a eu une importante bataille sur la « néolibéralisation » de l’Ukraine depuis la crise financière mondiale de 2008. Je ne suis pas assez naïve pour croire qu’après notre victoire, l’Ukraine se soulèvera et soutiendra les réformes démocratiques et sociales. Mais nous pouvons contribuer à mener un combat pour une reconstruction aussi progressiste que possible.
Il ne fait aucun doute que Zelensky et les institutions financières internationales ont prévu une reconstruction néolibérale. Les puissances occidentales, le FMI et la Banque mondiale accorderont des prêts à condition que l’Ukraine mette en œuvre de nouvelles contre-réformes de type « marché libre », impliquant la déréglementation, la réduction de l’Etat-social et l’ouverture accrue au capitalisme mondialisé.
Nous avons beaucoup de choses à défendre, notamment notre système de santé. (...)
Je suis convaincue que les luttes que nous avons vues émerger pendant la guerre permettront d’arrêter le pire de la reconstruction néolibérale. (...)
L’annulation de la dette devrait être la première chose faite pour aider un pays à se reconstruire après une guerre, une occupation et une crise économique d’ampleur.
Libérée de la dette et des prêts additionnels, l’Ukraine pourrait alors investir dans une reconstruction progressiste du pays, défendre notre Etat-providence et investir dans le secteur public. (...)
Zelensky acceptera les prêts et acceptera les conditions néolibérales, mais il devra ensuite faire face à une opposition intérieure. Les résultats de cette lutte seront déterminés par les rapports de forces au niveau national et international.
Voici une autre raison pour laquelle nous avons besoin de la solidarité de la gauche internationale, des pays endettés du Sud et des syndicats internationaux. (...)
Si nous pouvons remporter la libération et une reconstruction progressiste, nous pouvons donner un exemple positif pour les luttes des exploité·e·s et des opprimé·e·s dans le monde entier.
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– (ATTAC France)
Résistance des femmes face à la guerre en Ukraine, Alona Liasheva, Huayra Llanque
Plus de neuf mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la guerre se poursuit de manière intensive. L’offensive engagée par Vladimir Poutine vise à étendre l’assise et le territoire de la Russie, par la domination de l’Ukraine en niant l’autonomie, la liberté politique et la culture de son peuple.
Depuis le 24 février 2022, les peuples d’Ukraine résistent dans des conditions extrêmes, pour défendre leur liberté, leur intégrité, tout en trouvant les moyens de survivre, se soigner, travailler. (...)
Pour les féministes, l’enjeu est double : ne pas baisser la garde, poursuivre les luttes pour les droits des femmes et les droits sociaux, dont le droit du travail menacé par le gouvernement de Zelenski… tout en faisant face à une situation d’urgence, celle de la défense nationale. Elles en appellent à la solidarité internationale, rappellent non seulement qu’elles ne se résignent pas, mais affirme leur position politique.
Contre la domination d’un peuple par un autre, elles soulignent la nécessité de mécanismes aptes à prévenir de futures agressions et préserver l’intégrité des peuples. Annuler la dette de l’Ukraine et donner la priorité aux activités essentielles et de soins lors de la reconstruction du pays sont des conditions indispensables à une société plus égalitaire.
Ainsi, la solidarité « par en bas » est nécessaire non seulement pour défendre les droits fondamentaux d’un peuple agressé, mais aussi pour renforcer en Ukraine et dans les pays voisins les forces progressistes et féministes. (...)