
Tous les jours, le même refrain. Entonné par un chœur œcuménique où vocalisent aussi bien l’historien Pascal Blanchard que David Pujadas, le sondologue Pascal Perrineau que la philosophe Chantal Delsol – sans compter Le zapping de Canal+ en perroquet. De plateau en plateau, tout ce petit monde s’en va répétant deux vérités chiffrées donc incontestées : « 70% des Français jugent qu’il y a trop d’étrangers en France » ; « 74 % des Français estiment que l’islam n’est pas compatible avec les valeurs de la France. »
(...) Consternation ! Touts ces gens commettent la même erreur de débutant : remplacer les « sondés » par des « Français ». Même Pascal Blanchard, que j’apprécie et qui intervenait au cours d’un passionnant débat animé par l’excellent Ahmed El-Khey dans l’émission Toute les France, sur France Ô… Emission où il venait tout juste de démontrer les biais de fabrication du palmarès du JDD sur « les personnalités préférées des Français » ! On peut toutefois accorder à l’historien que, pris dans le feu de la discussion, il n’a pas eu le temps de réfléchir à ce qu’il disait…
Pour les journalistes de France 2, en revanche, aucune excuse. Dire « 74 % des Français pensent que… » au lieu de « 74 % des sondés pensent que… » n’est pas seulement une erreur, c’est une faute. (...)
87 % des « Français » (comme on dit au JT) souhaitent donc « un vrai chef pour remettre de l’ordre »… « Il n’est même pas sûr que le nazisme ait recueilli pareille unanimité », ironise Alain Garrigou. Evidemment. Les questions sont tellement orientées, tellement marquées à droite, qu’elles ont dû choquer un grand nombre de personnes sollicitées par Ipsos et le Cevipof. (Si un enquêteur m’avait posé ces questions dans la rue, je peux vous dire que je l’aurais bien reçu.) Ces personnes ayant deux sous de jugeote ont certainement refusé de répondre. Mais voilà : dans un sondage, le « refus de répondre » n’existe pas. Seuls font partie de l’échantillon ceux qui ont accepté d’être sondés sur ces questions… qu’ils estimaient donc légitimes.
Voilà comment on crée l’opinion au lieu de la sonder. (...)
« Que fait le Cevipof dans ces opérations où il martèle le même cliché ? s’interroge Alain Garrigou. On sait le laboratoire très à droite… » Quelle urgence la rédaction de France 2 avait-elle à marteler le même cliché, deux mois après la parution du sondage dans Le Monde ? Certes, David Pujadas annonce une « enquête » de Guillaume Daret. Mais ce n’est qu’un ignoble micro-trottoir (« Vous avez peur ? », demande-t-il) pour trouver la confirmation de ce qu’on voulait démontrer. (...)