
À l’heure où l’on fait le constat amer de la vague populiste, nonfiction.fr vous propose de lire un texte collectif paru dans le numéro 65 de la revue Vacarme à l’automne dernier intitulé « une vie non-fasciste nouvelle introduction ». Echos contemporain à la préface de Foucault dans l’Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari, cet article propose de combattre la source de la « pensée fasciste » : celle qui prend ses germes d’abord individuellement en chacun de nous, et semble éclore aujourd’hui dans toute l’Europe.
« Nous tenons encore à employer le mot « fascisme ». On ne peut pas renoncer à employer un tel terme au nom de sa confusion avec d’autres formes peu sympathiques de politique (populisme, racisme ordinaire, autoritarisme classique…), puisque le propre du fascisme est justement de tout confondre, de tout mélanger, de tout ensorceler.
On vit tous, depuis plus d’un siècle, sur une ligne de crête : un pas de plus, un pas trop loin en trépignant dans son bon droit et on tombe dans le fascisme ou on le voit surgir subitement en soi, ou encore on le sent nous traverser comme un flux irrésistible et anonyme. C’est avant tout pour cela que nous tenons encore à employer le mot « fasciste ». On ne peut pas renoncer à employer un tel terme au nom de sa confusion avec d’autres formes peu sympathiques de politique (populisme, racisme ordinaire, autoritarisme classique…), puisque le propre du fascisme est justement de tout confondre, de tout mélanger, de tout ensorceler.
Les affects fascistes ne sont pas solubles dans une logique de camps ou de classes. On les retrouve partout, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, en passant par de policés ministres de l’Intérieur ou du Budget prétendus de centre-gauche. Bref, parce que le premier danger est de découvrir le fascisme non pas en l’autre mais en soi : dans une pulsion raciste insoupçonnée, dans une subite fureur de destruction, dans le sentiment irrépressible d’un « tous pourris », dans une haine impuissante ressassant ses échecs répétés.
De ce point de vue, le plus important, face au fascisme, est de se demander comment s’en protéger avant d’en accuser les autres depuis le bunker de sa bonne conscience, ou de pointer du doigt les nouveaux ventres féconds de la bête immonde.
Même si Dieu sait — et il n’est pas le seul — combien les fascismes menacent aujourd’hui, partout : en France, en Hongrie, en Europe, aux États-Unis, de la Pologne aux îles Kouriles, en Syrie, en Égypte, en Israël, dans la péninsule amérindienne, en Norvège, au Pérou, chez les Tchèques, au sud des Abruzzes, au printemps, l’été même, parfois la nuit, en Turquie, en Chine, à Djibouti et au Kenya, partout. Mais commençons par tester nos propres capacités de défense véritablement non-fascistes. Michel Foucault a écrit en 1975 une flamboyante préface à L’Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari qui s’intitulait « Introduction à la vie non-fasciste ».
Tentons de lui redonner une forme actuelle. Une sorte de vade mecum par gros temps. (...)
L’Autre — avec une majuscule —, évidemment qu’il fait partie de moi, bien sûr que rien ne me sépare de lui, si ce n’est les discours du pouvoir.
Mais qu’advient-il dans nos pratiques de tous les jours ? Le désir de l’entre-soi est en embuscade à tous les coins de rue : sur le chemin de l’école, du travail, des loisirs. Évidente dans les statistiques, la reproduction sociale devient invisible lorsqu’elle nous concerne. Les pauvres, les Noirs, les femmes voilées sont tolérés, ils peuvent même obtenir des droits. Mais loin de chez nous. Not in my backyard. Partager le même quartier, les mêmes écoles, le même travail, pas trop.
La tendance à recréer des frontières infra-étatiques, à l’intérieur même des quartiers, se traduit par l’émergence, dans l’espace médiatico-politique français, d’une nouvelle catégorie de personnes : les riverains. (...)
L’épouvantail universel est un monstre biface : sur une face on peut reconnaître son voisin le plus ordinaire, sur l’autre face l’étranger le plus lointain fomentant des complots épouvantables. (...)
Le racisme, composante constitutive du fascisme, se déguise volontiers en défense des valeurs républicaines et universelles contre leur mise en danger par des communautés minoritaires. Cette tentation a même été inscrite dans la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen quand elle a créé de l’égalité en faisant exister des exclus. La tentation fasciste n’est pas étrangère aux revendications universalistes et républicaines quand elles exigent que, pour appartenir, il faille de se défaire de tout signe d’une autre appartenance. (...)
Considérons toujours les questions de religions — la « question juive » hier, le « problème de l’Islam » aujourd’hui — comme des questions politiques secondaires. Certes, le premier usage politique des religions consiste à s’en servir pour abrutir les masses. Mais faire de la religion en général ou d’une religion en particulier son ennemi principal est tout aussi abrutissant, empêchant de voir et ses beautés marginales et les autres problèmes, par exemple la consommation de masse largement aussi efficace en ce domaine. (...)
Car, politiquement, la précellence donnée aux questions religieuses, c’est justement le fascisme.