
Face à la défiance des Français envers la vaccination contre le coronavirus et la propagation des thèses complotistes, le gouvernement tente d’investir les réseaux sociaux. Mais encore faut-il le faire correctement : souvent, le mélange des genres manque de finesse.
« Réveillez-vous ! Je le dis haut et fort, et personne ne m’interdira de parler. Nous sommes en train de vivre un génocide, le virus a été inventé pour diminuer la population et esclavager le reste qui survit. » Dans une vidéo publiée le 13 novembre dans une story Instagram, Kim Glow, candidate de multiples télé-réalités marseillaises, vocifère en pointant son index, martelant que « tout est calculé ». Une semaine plus tôt, elle expliquait que le vaccin contre le Covid-19 allait permettre de tous nous pucer (...)
Kim Glow avait jusqu’ici comme fait d’armes d’avoir affirmé, lors d’une émission, être certaine que le ciel avait au moins deux lunes, puisque le satellite était visible d’un bout à l’autre de la Terre. Sa saillie complotiste contre les vaccins pourrait faire rire tant elle est ridicule, mais elle est diffusée à son million d’abonnés sur Instagram, une audience monstrueuse, à qui elle conseille vivement de regarder un « reportage » (sic) : Hold-up, le documentaire bourré de contre-vérités et de mensonges. Dans son sillage, d’autres influenceurs, souvent anciens candidats de télé-réalité aux centaines de milliers d’abonnés, ont remis en doute vaccin, épidémie et crise sanitaire, sur fond de complot mondial branché sur la 5G. (...)
À tel point que le gouvernement réfléchit à contre-attaquer en utilisant les services d’autres youtubeurs. Le journal L’Opinion affirmait dans un article du 17 novembre qu’il avait même, le temps d’un week-end, songé à répondre directement à Kim Glow, avant de renoncer. Le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal s’est exprimé vendredi dernier sur le sujet au micro du Mouv’, qualifiant l’influenceuse de « danger public » : « Elle raconte n’importe quoi matin, midi et soir. »
Il n’est pas exclu que la réplique conforte la petite vedette dans son délire complotiste, mais on comprend la volonté du gouvernement de rectifier les propos, tant l’enjeu est grand. Les récents sondages montrent que la moitié des Français ne souhaitent pas se faire vacciner contre le Covid-19. Une défiance inquiétante, et qui semble particulièrement forte chez les jeunes. Alors investir, à pas de loup, le terrain des influenceurs et des youtubeurs ultrasuivis pour promouvoir la future campagne de vaccination auprès de ce public n’est pas totalement une mauvaise idée.
Propagande gouvernementale
Mais encore faut-il savoir faire les choses correctement. En juillet 2019, Tibo InShape, Sundy Jules et Enzo tais-toi !, trois youtubeurs à large audience, faisaient la promotion en vidéo du service national universel (SNU), sans nuance ni vergogne, ni encore moins mention légale de partenariat. Tollé général – les accusations de propagande gouvernementale avaient inondé les réseaux sociaux et le gouvernement avait été contraint de reconnaître qu’il avait rémunéré les vidéastes pour promouvoir le dispositif. « Ce sont des partenariats rémunérés, c’est la même chose que d’acheter de l’espace dans un journal », expliquait alors Gabriel Attal au Parisien. (...)
En février 2020, la youtubeuse à succès EnjoyPhoenix (3,6 millions d’abonnés) publiait une vidéo intitulée « Une journée dans la peau d’une ministre ! », qui servait la soupe, à grandes louchées, à la secrétaire d’État à la Transition écologique Brune Poirson. Un exercice de communication déguisée, jouant de la fausse candeur de la youtubeuse. (...)
Le gouvernement entre chez les influenceurs parfois – souvent – sans grande subtilité, mais il faut lui reconnaître le souhait d’aller chercher la jeunesse là où elle se trouve. Se mettre des œillères et faire comme si ce bassin d’audience monstre n’existait pas, sous prétexte qu’il représente un changement dans le paradigme habituel de la communication et des médias, c’est se couper d’une bonne partie de la population. (...)
Tous nos politiciens n’ont pas le talent de l’élue démocrate américaine Alexandria Ocasio-Cortez, qui s’est invitée fin octobre dans un live sur le site de streaming Twitch, pour jouer au très populaire Among us, tout en expliquant avec force et naturel les bénéfices de l’Obamacare. Il y a un enjeu politique, et aujourd’hui sanitaire, à parler aux jeunes, et ni les médias ni les élus n’ont encore trouvé la solution.