
(...) L’erreur est de penser que l’avènement d’un parti néofasciste en Europe et en France en particulier serait une rupture ou marquerait le début d’une nouvelle ère, alors qu’en fait ce ne serait que la confirmation d’un rapport de forces, d’un changement de paradigme social d’ores et déjà bien acté dans notre quotidien. C’est juste que comme la fameuse grenouille dans sa casserole, l’évolution a été suffisamment progressive pour que nous ne la ressentions pas vraiment ou, tout au moins, que seules les composantes sociales les plus à la marge aient pu les ressentir dans leur quotidien et leur chair toutes ces années.
(...) le courant réactionnaire des possédants a été total, implacable et il a profondément reconfiguré notre société actuelle, jusque dans ses valeurs les plus profondes.
Et de ce point de vue là, Marine Le Pen n’est pas une menace, un épouvantail ou le début d’une nouvelle ère : elle n’est que la traduction concrète du changement profond de notre société.
Toutes les choses qu’elle va concrètement mettre en place une fois arrivée au pouvoir ne seront pas des ruptures, mais uniquement l’utilisation pragmatique des outils d’ingénierie sociale qui ont déjà été soigneusement élaborés par les gouvernements des dernières décennies. Autrement dit, pour les gens qui appartiennent concrètement à ce monde-ci, il ne devrait pas y avoir de différences notables en dehors d’une accélération sensible des processus déjà en cours : État d’exception et citoyenneté à géométrie variable, société à plusieurs vitesses dont la variable discriminante essentielle sera bien la capacité à accumuler l’argent, concentration des moyens sur les inclus et force centrifuge accrue appliquée aux exclus qui vont ainsi glisser vers le statut de surnuméraires, parachèvement de la destruction programmée de l’État de droit et de l’État providence, soumission de l’intégralité des outils collectifs à des logiques de profits immédiats et aux appétits du privé : liquidation plus ou moins brutale de tout ce qui ne rentre plus dans le cadre, de tout ce qui ne sert plus à rien.
D’ores et déjà, la pensée raciste et violente a été banalisée dans les médias, les allées du pouvoir et dans bien des cercles privés, par simple effet de contagion. (...)